Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     


 

 

 

 

 
Rock my religion (c) D.R.

Objectif Cinéma : Qu’en est-il de Rock my religion (1982-1984), ce film de Dan Graham qui dresse aux Etats-Unis un parallèle entre la mouvance rock des années 1960 et le mouvement religieux des Shakers au XVIIIe siècle ? Quelle est sa place dans ta programmation ?

Laurent Ghnassia : Rock my religion est un essai. Dans ce film, le rapport son-image est ailleurs. Ce qui m’intéressait, c’était l’audace de ce parallèle, l’analyse des racines spirituelles inconscientes d’un mouvement musical, tout en étant conscient que depuis, le rock s’est diversifié, regénéré, ramifié, a été un passage vers d’autres styles musicaux complètement hybrides, entre le rap et l’électro-punk. Dans ce film, la figure centrale est Patti Smith, à mi-chemin entre le spirituel, l’icône, et la révolte du rock. Le parallèle est aussi avec Ann Lee, la femme qui a incarné les aspirations religieuses des Shakers. Ann Lee dit qu’un jour, « les chants se transformeront en aboiements de chiens », et au même moment, on voit à l’image une femme sur scène en train de hurler dans un micro. Les deux personnages de Patti Smith et d’Ann Lee se répondent l’une l’autre.


  On animal location (c) D.R.

Objectif Cinéma : Parlons maintenant de On animal locomotion (1994), le film que Johan Van der Keuken co-signe avec le saxophoniste Willem Breuker. Là, à mon avis, on a vraiment une inversion du rapport de hiérarchie et d’illustration entre le son et l’image. Le générique de fin commence d’ailleurs par « Original music : Willem Breuker », avec ensuite une liste de musiciens comme on aurait, d’habitude, une liste d’acteurs et de techniciens de l’image. En l’occurence, il m’a semblé que c’est plutôt l’image qui vient illustrer le son et celui-ci prend effectivement le pas sur l’image : « le temps d’une séance, [n]os oreilles conduisent [n]os yeux ».

Laurent Ghnassia : Oui. Quand j’ai vu le film de Van der Keuken pour la première fois, je me suis dit : « tiens, Johann s’est mis totalement au service de son musicien pour ce film, au contraire de ce qui se passe d’habitude, les rapports ont été inversés cette fois-ci, la bande son a été créée par Breuker et Van der Keuken l’a illustrée ». Mais, renseignement pris auprès des personnes qui ont produit le film, ça ne s’est pas passé comme ça. En fait, le musicien et le vidéaste n’ont fait qu’un dans leur construction. Ils ont travaillé de concert, et le film a évolué ainsi, au fil d’une construction simultanée et conjointe avec deux médias. C’est d’ailleurs le seul film de ce type dans la programmation. La musique a inspiré les images, qui ont inspiré la musique, qui a inspiré les images… Ce qui donne d’ailleurs un générique de fin absolument somptueux où la caméra se balance de haut en bas d’un immeuble jusqu’à se fixer sur une flaque d’eau. Et puis dans ce film, il y a des documents inoubliables, comme cette femme sur le marché de Ljubljana dont le regard est d’une force extraordinaire. Et là, pour moi, on n’est pas du tout dans l’illustration de la musique. Cette force est due aux deux éléments, et c’est d’ailleurs le seul film où je n’arrive pas à dissocier les deux médias : son et image font un, sont totalement imbriqués.