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  Pierre Bourdieu (c) D.R.

Objectif Cinéma : Pour en finir avec Le bal des célibataires, il y a ces quelques pages sur « l’autorité excessive de la mère et le célibat »…

Emmanuel Bourdieu : Le film part de là et de ces deux clés : le drame du célibat et l’erreur méthodologique de Lucas. D’un côté il y a un type (le sociologue) qui glisse dans l’action alors qu’il devrait être dehors, et de l’autre, un autre qui a vécu un drame terrible lié à un contexte économique très dur, totalement emblématique de tous ces paysans qui sont deux fois victimes (économiquement de la crise qu’a connue l’agriculture et de la tradition qui faisait d’eux l’excellence de ce monde-là). La mère de Simon représente la tradition à elle seule. Mais c’est une tradition devenue folle parce qu’elle est confrontée à une crise qui fait que ce qui avait le plus de valeur se trouve totalement dévalué. Ainsi, les jeunes gens d’habitude les plus faciles à marier, ceux qui avaient le plus de valeur sur le marché matrimonial se retrouvent immariables. La mère de Simon est folle, au même titre que la tradition. Beaucoup de mères à cette époque ont essayé de s’opposer à l’évolution des mœurs et ont surenchéri avec des exigences absurdes, des crises extrêmes.


Objectif Cinéma : Quand la mère de Simon sent le trouble revenir dans l’esprit de son fils, quand elle sent l’ombre d’Isabelle, elle fait à son fils un chantage à mort : si tu pars, je brûle la maison. Du reste, c’est qu’elle fait. De quelle charge affective la maison est-elle investie ?

Emmanuel Bourdieu : Pour le personnage de la mère, j’ai vraiment collé à une espèce d’archétype que l’on retrouve dans cette région. La phrase qu’elle dit à Simon («  Si elle rentre par cette porte, je sors par celle-là »), est presque rituelle, je l’ai entendu plusieurs fois dans les entretiens. C’est une sorte de formule. La mère de Lucas craint fortement de perdre son pouvoir dans la maison. Elle déteste la famille d’Isabelle qui est supérieure dans la hiérarchie paysanne. Elle a peur que cette jeune fille devienne la maîtresse de maison, et serve, par exemple, la soupe à sa place… Des enjeux de pouvoir très forts se jouent à ce niveau : qui va prendre la louche et servir la soupe à table ; qui va décider comment on décore la maison, combien de fois on change les draps…

L’enjeu étant le pouvoir dans la maison, il y a cette menace ultime de la brûler, et qu’elle parte en fumée. Simon est animé par cette idée qu’il faut être fidèle à son père, qu’il ne fallait pas démissionner, contrairement aux autres…  Brûler la maison, conquise par le père, simple ouvrier agricole, c’est l’acte le plus violent vis-à-vis de Simon, c'est le démolir.