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Objectif Cinéma
: Pour en finir avec Le
bal des célibataires, il y a ces quelques pages sur
« l’autorité excessive de la mère et le célibat »…
Emmanuel Bourdieu
: Le film part de là et de ces deux clés : le drame
du célibat et l’erreur méthodologique de Lucas. D’un côté
il y a un type (le sociologue) qui glisse dans l’action
alors qu’il devrait être dehors, et de l’autre, un autre
qui a vécu un drame terrible lié à un contexte économique
très dur, totalement emblématique de tous ces paysans qui
sont deux fois victimes (économiquement de la crise qu’a
connue l’agriculture et de la tradition qui faisait d’eux
l’excellence de ce monde-là). La mère de Simon représente
la tradition à elle seule. Mais c’est une tradition devenue
folle parce qu’elle est confrontée à une crise qui fait
que ce qui avait le plus de valeur se trouve totalement
dévalué. Ainsi, les jeunes gens d’habitude les plus faciles
à marier, ceux qui avaient le plus de valeur sur le marché
matrimonial se retrouvent immariables. La mère de Simon
est folle, au même titre que la tradition. Beaucoup de mères
à cette époque ont essayé de s’opposer à l’évolution des
mœurs et ont surenchéri avec des exigences absurdes, des
crises extrêmes.
Objectif Cinéma
: Quand la mère de Simon
sent le trouble revenir dans l’esprit de son fils, quand
elle sent l’ombre d’Isabelle, elle fait à son fils un chantage
à mort : si tu pars, je brûle la maison. Du reste,
c’est qu’elle fait. De quelle charge affective la maison
est-elle investie ?
Emmanuel Bourdieu
: Pour le personnage de la mère, j’ai vraiment collé à une
espèce d’archétype que l’on retrouve dans cette région.
La phrase qu’elle dit à Simon (« Si elle rentre
par cette porte, je sors par celle-là »), est
presque rituelle, je l’ai entendu plusieurs fois dans les
entretiens. C’est une sorte de formule. La mère de Lucas
craint fortement de perdre son pouvoir dans la maison. Elle
déteste la famille d’Isabelle qui est supérieure dans la
hiérarchie paysanne. Elle a peur que cette jeune fille devienne
la maîtresse de maison, et serve, par exemple, la soupe
à sa place… Des enjeux de pouvoir très forts se jouent à
ce niveau : qui va prendre la louche et servir la soupe
à table ; qui va décider comment on décore la maison,
combien de fois on change les draps…
L’enjeu étant le pouvoir dans la maison, il y a cette menace
ultime de la brûler, et qu’elle parte en fumée. Simon est
animé par cette idée qu’il faut être fidèle à son père,
qu’il ne fallait pas démissionner, contrairement aux autres…
Brûler la maison, conquise par le père, simple ouvrier agricole,
c’est l’acte le plus violent vis-à-vis de Simon, c'est le
démolir.