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  Vert Paradis (c) D.R.

Objectif Cinéma : Lucas joue également un drôle de jeu avec sa petite amie, Sophie : la scène finale nous le montre un brin pervers, laissant Sophie écouter une cassette sur laquelle Isabelle a enregistré une déclaration d’amour…

Emmanuel Bourdieu : Oui, le fait même qu’il ait laissé la cassette en évidence n’est pas anodin alors qu’Isabelle lui a demandé très clairement de la lui rendre. Moi je crois qu’à la fin, il a une certaine fascination pour tout ça, et une fois que c’est parti, il ne peut plus l’arrêter. Je pense que c’est une sorte de vertige devant un gouffre qui va révéler tout son aveuglement. C’est un peu prétentieux mais c’est comme Œdipe qui, à la fin, veut savoir. Et le fait de découvrir sa propre culpabilité ne l’arrête pas, il veut savoir jusqu’au bout. Le fait que Lucas fasse cela devant Sophie est particulièrement violent mais à la limite, il ne pense plus à elle, à ce moment-là, il veut en finir avec cette part obscure qui est ressortie.


Objectif Cinéma : Dans votre pièce Tout mon possible, le personnage s’appelle également Lucas. Le Lucas de Vert Paradis, n’est-il pas hanté lui aussi par un possible qu’il sent s’échapper ?

Emmanuel Bourdieu : C’est drôle, je n’y ai jamais pensé, mais Lucas est comme tous les immigrés : il arrive à un moment de sa vie et se pose des questions sur le Lucas qu’il serait devenu s’il n’était pas parti à Paris. Il s’interroge sur son « compossible », si l’on veut ! La variante de Lucas serait exactement comme Lucas sauf qu’elle n’aurait pas fait ce choix de partir à Paris. Et Lucas, c’est vraiment quelqu’un qui a ce problème de vouloir revenir avant ce choix. Il se dit : « j’ai fait ce choix, mais en le faisant, j’ai été absent à ce qui devait être les moments cruciaux de mon existence (la mort de son père, la brouille entre ses amis…) » et il se bat pendant tout le film pour essayer d’arranger des choses qui se sont faites en son absence, c’est, pour moi, cela qui l’aveugle. Et il veut les arranger en restant là et en agissant. Le film n’aurait pas eu lieu s’il avait écouté Mortier (le professeur, interprété par Philippe Morier-Genoud) au début, alors que celui-ci lui disait de rentrer.


Vert paradis (c) D.R.

Objectif Cinéma : Le professeur Mortier, justement, c’est un peu la voix du réel, non ?

Emmanuel Bourdieu : Exactement, il incarne une sorte de principe de réalité. En fait, il y en a même deux : un à Paris (Mortier) et un autre dans le Sud-Ouest (Louis Cazenave, interprété par Scali Delpeyrat). Ce sont des personnes devant lesquelles Lucas est transparent. Le comique de Mortier vient de cette idée, que l’on a travaillé avec Philippe (Morier-Genoud), selon laquelle il faut séparer la vie et le travail. Quand on fait le travail que fait Lucas, on rentre dans une relation qui peut parfois devenir intime. C’est de là que naît la confusion et que l’on fait du mal. On est payé pour comprendre, pas pour agir, en quelque sorte. Le comique de Mortier vient aussi du fait que Lucas l’amène sur un terrain où il ne veut pas aller, celui de l’affectif. Et du coup, comme il l’aime beaucoup, Mortier fait quand même le pas. Je disais à Philippe : « tu dois être de mauvaise humeur à faire le père ». D'un côté, Lucas dit : « adoptez-moi, adoptez-moi » pendant tout le film et, de l'autre, Mortier répond : « d’accord je vous adopte, mais arrêtez vos conneries ». Il lui dit ce mot sur les amours enfantines et instantanément, Lucas sourit : lui qui était tellement raide, s’ouvre enfin devant Mortier. Il est percé à jour. Cazenave, quant à lui, parle comme un sociologue, avec un côté méchant et salaud, parfois.