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La Jeune Fille à la perle  (c) D.R.
Objectif Cinéma : Comment avez-vous travaillé avec Eduardo Serra, votre directeur de photographie ?

Peter Webber : Nous avons tous les deux fait des recherches de notre côté. Eduardo avait étudié l’histoire de l’art, pendant quatre ans à la Sorbonne, et moi-même, j’avais étudié l’histoire de l’art pendant trois ans en Angleterre, donc on parlait la même langue. Et c’est un homme qui a définitivement une forme de courage, puisque la première fois où nous avons dîné ensemble, dans un restaurant de poissons, il a commandé de l’anguille en aspic c’est-à-dire, en gelée, un plat typique cockney (du Londres un peu pauvre). Un homme courageux, donc ! (rires).

Eduardo s’intéresse autant aux personnages qu’à la lumière et comme il est très rapide, ça me laissait le temps de travailler justement plus longtemps avec mes acteurs. On avait de nombreuses discussions, je lui montrais des tableaux, c’était une collaboration que j’appellerais « organique ». Et d’ailleurs à la fin du tournage, et pendant le film, on ne savait plus si l’idée venait de lui ou si elle venait de moi. Quelle importance ? Ce qui est important, c’est de savoir engager des gens formidables. Ma force, elle est aussi dans cette communication que j’ai avec eux. On a beau discuter, mais finalement, il faut qu’il réalise ce dont il a parlé. Il faut qu’à un moment, après en avoir parlé, j’ai l’impression quand j’entre dans l’atelier, que c’est véritablement l’atelier de Vermeer. Le réalisateur est un peu comme un marionnettiste, mais qui prendrait du recul par rapport à l’œuvre.


Objectif Cinéma : Et que s’est-il passé lorsque vous avez franchi le seuil de la fameuse pièce de montage ?

Peter Webber : On espère toujours des miracles, comme vous l’imaginez, mais on rencontre le plus souvent des écueils, alors par exemple, une fois qu’on a la première bouture, eh bien, on veut se jeter par la fenêtre. On se dit : « Mon Dieu quelle horreur, jamais je ne ferai un bon film ! », enfin…c’est terrible !

Et c’est à partir du moment où l’on est dans cet état, où l’on est plus du tout amoureux de son travail, que l’on peut finalement passer à la seconde phase, essentielle et extrêmement violente, où l’on doit reformer le film, le courber et le forcer pour qu’il soit quelque chose que le public puisse accueillir dans une salle de cinéma. Mais il est important de ne pas se dire « j’espère trouver ceci », mais avoir la lucidité de voir ce que l’on a vraiment. Repérer la force de ce que l’on a fait et rejeter les moments les plus faibles pour servir l’histoire. J’utiliserai la métaphore du sculpteur, qui, devant un morceau de bois, a une idée préconçue de ce qu’il veut sculpter, et tombe à un moment sur un nœud dans le bois autour duquel il doit forcément travailler. C’est un petit peu comme Tarkovski qui parlait du cinéma comme sculpture du temps, sculpture de l’émotion. Donc ce que j’aime, c’est trouver la force dans ce que j’ai, éliminer les choses les plus faibles, et finalement en faire quelque chose de fort. Donc je dis, je dis merci au montage ! (rires)