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Objectif Cinéma :
Le convoyeur
est un film sur la peur, mais il est paradoxalement filmé
avec une sorte de sérénité…
Nicolas Boukhrief : C’est
vrai qu’il doit y avoir dans Le convoyeur moitié moins
de plans que dans un film standard. Mais je ne parlerais pas
de sérénité, je dirais juste que cela vient de l’histoire
qui est filmée. C’est elle qui rend peut-être la mise en scène
sereine. On a vraiment beaucoup travaillé sur le scénario,
il ne restait plus qu’à filmer cette histoire. Pour les scènes
de violence, il fallait trouver quelque chose de plus radical
possible, mais pas de plus lyrique, vu la matière même du
sujet. Il aurait été assez malsain et grotesque de faire mourir
des convoyeurs comme des super héros de John Woo. Mais il
aurait été aussi un peu prétentieux de les faire mourir comme
si Ken Loach filmait tout d’un coup des scènes d’action. Il
fallait trouver quelque chose en rapport avec le sujet. Comme
pour les films américains de série B, les contraintes financières
nous ont poussé à trouver des idées de mise en scène qui font
réfléchir le spectateur. J’ai envie de parier sur le dialogue
avec le spectateur plutôt que sur la surenchère à l’écran.
C’est comme ça que je perçois la bonne série B : Shock
Corridor de Fuller est par exemple un film avec lequel
je dialogue en permanence.
Objectif Cinéma : Comme
dans votre précédent film, on retrouve une grammaire cinématographique
très simple, des panoramiques qui font monter une certaine
tension un peu sourde…
Nicolas Boukhrief : On
passe nos journées dans la vie à faire des panoramiques et
des travellings, mais, en revanche, on ne fait pas de mouvements
de grue ! Quand on n’a pas beaucoup de moyens, autant se rapprocher
de notre propre syntaxe biologique. Et le panoramique raconte
aussi quelque chose, il peut être très narratif.
Je me suis rendu compte en faisant des films que ce qui était
important était la matière qu’on filmait. La façon dont on
la filme est tout à fait secondaire. Si vous mettez une mise
en scène archi lyrique et magnifique sur un sujet nul, le
film restera nul. Si vous faites une mise en scène très simple
sur un bon sujet, il restera intéressant. Je ne fais pas de
story-board, je pense ma mise en scène directement sur le
plateau. De toute façon quand on a peu de moyens, on n’est
pas sûr d’avoir et de faire ce qu’on a prévu. Par exemple
dans Le convoyeur, il y a une scène de cascade, dans
laquelle un fourgon défonce des voitures. Normalement le fourgon
devait rester bloqué face à un mur de voitures cassées. Mais
lors du tournage de la cascade, il est apparu un espace complètement
vide devant le fourgon qui lui permettait de passer. Il a
donc fallu modifier la scène. Cela a permis au personnage
de Berléand de sortir du fourgon et de tirer sur les types,
ça a accentué son côté psychopathe, c’est encore mieux pour
le récit. J’ai filmé cette scène de la façon la plus primitive
possible, d’abord parce que je n’ai pas d’autre choix, puis
parce que tout m’a amené là. Il faut toujours se dire « maintenant
que j’ai tous ces éléments-là sous la main, voilà ce que je
peux filmer ». Car il peut toujours arriver un imprévu.
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