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  Le Convoyeur (c) D.R.

Objectif Cinéma : La contrainte économique engendre une esthétique singulière…

Nicolas Boukhrief : Exactement. Mais c’est très bien car cela engendre de nombreuses possibilités. Quand on s’est rendu compte qu’on n’aurait pas l’argent qu’il nous fallait pour faire ce film (il manquait six millions), je me suis dit que la compagnie de transport de fonds du film pouvait être en dépôt de bilan, sur le point d’être rachetée. Les 6 millions manquants nous auraient permis de montrer une compagnie avec des fourgons à l’américaine et des attaques très spectaculaires.  Je me suis dit, qu’au contraire, ces convoyeurs étaient des types sans espoir ni idées… Ça les rendait tous beaucoup plus humains. Et les fourgons, leur matériel de travail est tellement vieux, usé, que cela participe de l’émotion et de l’angoisse du film. On se dit que s’ils se font attaquer, ils vont nécessairement y passer. La série B permet toujours de trouver des idées qui rajoutent au scénario, et au film proprement dit, au lieu de lui en enlever. J’adore cet esprit-là. Je n’aime pas les films story-boardés où tout est impeccable, où l’on sent que tout a été posé dans le plan, que tout est à sa place. Ça manque de vie, de souffle. Et ça coûte de l’argent. Mais en même temps, si tu n’as vraiment pas assez d’argent, à un moment, tu tues le film… Et au lieu de l’améliorer, tu commences à faire des concessions…


Objectif Cinéma : Dans Le convoyeur, il y a d’un côté une caractérisation des personnages par des petits détails (la saucisse croquée par La Belette - Julien Boisselier -, ou encore le petit pingouin dans la cabine du fourgon, au début du film, etc), et la plupart des personnages ont aussi un hors champ imaginaire, qui permet un dialogue avec le spectateur récréant lui-même un univers. C’est un peu finalement l’idée d’un film en trois dimensions : la première nous est donnée, à nous de restituer les deux autres dans notre tête.

Nicolas Boukhrief : Exactement. C’est Zulawski qui m’a appris à soigner tous les petits détails. Les objets sont très importants dans ses films. Il n’est pas le seul, bien entendu, mais je parle de ce cinéaste car je l’ai vu travailler. Tout le cinéma polonais a d’ailleurs le sens du petit détail. Et les acteurs adorent ça ! A condition que ce ne soit pas gratuit et qu’ils ne cabotinent pas avec, que cela rajoute encore au personnage. 

Le Convoyeur (c) D.R.

Objectif Cinéma : Comment, à l’écriture, échappe-t-on au formatage ?

Nicolas Boukhrief : Quand vous n’avez pas de chaîne en coproduction, vous êtes libre de tout !  Vous n’avez aucune chappe de plomb sur la tête et vous êtes libre d’improviser des tas de choses. C’est pourquoi j’ai pu mettre par exemple ce personnage de vieux facho incarné par Berléand qui a fait la guerre et dérape facilement… Avec une chaîne coproductrice, je l’aurai fait quand même parce que j’aime bien cette idée assez drôle, mais j’aurais eu probablement des problèmes à l’arrivée : ils m’auraient dit « ce n’est pas dans le scénario », et ils auraient eu raison !

Plus la télévision sera chiante et insipide, plus les gens rechercheront au cinéma des films singuliers qu’ils ne peuvent plus voir ailleurs…C’est ce qui s’est produit dans les années 70 : Taxi Driver, c’était au cinéma ou rien ! Sinon j’espère aussi que si les films ne marchent pas en salles, ils marcheront en DVD. Cela ne me dérangerait pas de faire directement des films pour un support DVD pour peu que je puisse continuer à tourner… Il y a des tas de chefs d’œuvre que je n’ai vu qu’à la télévision ! ! La splendeur des Amberson  par exempleje l’ai vu sept ou huit fois à la télévision, et je ne sais même pas si je l’ai vu une fois sur grand écran !