Objectif Cinéma : Les
événements fondateurs pour De Palma dans les années 60, ce sont
l’assassinat de Kennedy, la vision de Vertigo, et la
médiatisation de la guerre du Vietnam…
Luc Lagier : Le choc Kennedy
pour De Palma, ce n’est pas tant la mort du président, que l’enquête
qui a suivi sur le film de Zapruder. Et sa fameuse théorie selon
laquelle plus on a d’informations et plus on réfléchit sur quelque
chose, plus paradoxalement s’évapore quelque chose de l’ordre
du sens. Il est obsédé par la trace visuelle d’un événement.
Et la perte d’innocence des années 60, pour lui, c’est ça. Le
fantasme de l’image comme accès facile au réel, la facilité
au réel et à la compréhension de l’événement, c’est quelque
chose qui vole en éclats à la fin des années 60. J’adore dans
l’entretien, quand il dit « j’y ai cru au cinéma, à
ces caméras légères qui permettaient de suivre tout, de faire
des documentaires fabuleux, etc, et puis je me suis rendu compte
qu’on ouvrait la boîte de Pandore et qu’il n’y avait plus de
limites par rapport à la manipulation de l’image… »
C’est devenu l’enjeu majeur dans les années 60 pendant
la guerre du Vietnam. Cela représentait un pic incroyable de
liberté audiovisuelle qui s’est ensuite effrité très rapidement. La
plupart des cinéastes de sa génération sont en plein dans ce
fantasme de la télévision, des documentaires, de l’image en
tant que telle. C’est une génération qui pensait au départ
que s’il y avait eu des images de camps de concentration à l’époque
de leur existence, ces derniers n’auraient pas eu lieu. Notre
génération est revenue sur cette idée. On sait que même avec
des images, le monde ne bouge pas plus que ça.
Objectif Cinéma : Ce
thème de la perte d’innocence revient souvent dans tout ce que
tu entreprends (ce livre sur De Palma, ton émission sur Arte,
etc)… Et effectivement, nous faisons partie d’une génération
qui avons grandi avec cette perte d’innocence concernant l’image,
qu’avait découverte De Palma et les gens de sa génération…
Luc Lagier : On pourrait
parler aussi de la mélancolie. Je ne pouvais que me reconnaître
à titre personnel, dans le travail de De Palma, quand il affirmait
qu’il y a des images de cinéma qui ont été et qui ne sont plus,
qu’il a découvert « en direct », mais qu’on a découvert
« en reprise », donc comme faisant partie d’un musée,
d’enfermé dans l’histoire du cinéma, d’inatteignable. Hitchcock
est par exemple un cinéaste qu’on ne rencontrera jamais, on
ne pourra jamais faire un entretien avec lui…Le travail maniériste
entrepris par des gens plus jeunes que De Palma est encore plus
poussé. Il faut essayer de faire revivre ça de toutes les
façons possibles, quitte à en passer par le remake « plan
par plan ». J’adore ce que fait Gus Van Sant par rapport
à ça, je n’ai pas vraiment vu tous les travaux expérimentaux
sur le ralentissement des images des films de Hitchcock ou autres,
mais c’est assez passionnant de voir à quel point on fétichise
précisément la pellicule même. C’est assez fou.