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  Brian De Palma (c) D.R.

J’ai le sentiment qu’il existe une pureté du cinéma que je n’ai jamais connue, que je découvre en retard et que je ne retrouverai jamais. La cinéphilie, sans être une activité dépressive, est une activité très mélancolique car quand tu assistes à la projection d’un film que tu aimes, tu assistes à la mort du film, à la mort de ce que tu ressens par rapport au film.  La cinéphilie consiste, de manière très cruelle, à essayer de retrouver sans cesse en revoyant le même film ou revoyant la même scène, une émotion originelle qui n’existe plus. Après tu en trouves une autre, tu l’analyses par exemple, ce qui te permet de compenser un peu le reste… Ce sentiment irrigue complètement mon travail. Je n’ai pas été marqué récemment par des images de cinéma, aussi fortes que celles de Vertigo ou d’autres vues à 16 ou 17 ans. Tout se passe à l’adolescence. Dans ce cas, la mise en abîme est multiple car Vertigo parle de quelqu’un qui tombe amoureux d’une image, plonge en elle comme il plonge dans la baie de San Francisco. L’histoire de Vertigo, c’est vraiment l’histoire de la cinéphilie : un type n’a pas accès à une image sublime dont il tombe amoureux, il la voit toujours de dos, de profil, n’a jamais accès à elle, et la première fois où il va avoir accès à elle, il va la toucher physiquement, en plongeant dans la baie de San Francisco (parce que Madeleine plonge dans la baie).  Il y a vraiment la notion de plongée dans l’image, il passe du statut de spectateur à celui d’acteur et il a le fantasme du cinéphile qui consiste à être tellement happé par l’image qu’il envisage pourquoi pas d’aller faire un tour « de l’autre côté ». Et il perd ensuite l’image originelle devenue une image morte qu’il va recréer : c’est le deuxième fantasme du cinéphile qui veut revenir à l’image originelle en essayant d’imaginer un temps enroulé sur lui-même. Le cinéphile veut non seulement plonger dans l’image, mais aussi revenir toujours aux mêmes images, il revoit toujours le même film pour retrouver le film.

Vertigo est le premier film qui témoigne de cela et je ne suis pas sûr que ce soit conscient de la part d’Hitchcock. Ensuite, De Palma, consciemment ou non, le ressent vraiment. J’avais fait pour Arte un sujet sur Vertigo et La jetée, où je disais que Chris Marker était un cinéaste un peu comparable à DePalma, que lui-même refaisait Vertigo dans La Jetée en 1962. En 1982, il se filme d’ailleurs lui-même sur tous les lieux de tournage de Vertigo. Il ne refait pas seulement le film ni une boucle dans le temps, il traverse l’Atlantique et va sur les lieux du tournage. Il y a vraiment cette notion de traverser le miroir, d’aller de l’autre côté, c’est quelque chose que je trouve absolument passionnant. Vertigo est le fantôme de mon travail cinéphile ; pas seulement le fantôme de DePalma, mais le fantôme qui me fait m’identifier à la pulsion cinéphilique, cette pulsion mélancolique de James Stewart dans Vertigo, c’est-à-dire quelqu’un tombe amoureux d’une image, qui arrive à passer de l’autre côté, qui la perd, et qui va tout faire pour la retrouver, ce qui est la plus belle définition de la cinéphilie. Une cinéphilie active, un peu folle, qui croit en la puissance du cinéma. Ce n’est pas forcément une idée très baroque.

Jean-Luc Godard (c) D.R.

Objectif Cinéma : Personnellement, j’ai découvert De Palma à la fac, pas comme toi à la télé, à l’adolescence…

Luc Lagier : Moi, tout s’est fait à l’adolescence. J’étais totalement accro au cinéma d’horreur. Je ne connaissais pas vraiment le cinéma français, à part Godard et un peu la Nouvelle Vague, mais pas le jeune cinéma français. J’ai découvert beaucoup de choses à l’Agence du court-métrage où j’étais d’abord objecteur de conscience, et j’ai découvert surtout de nouvelles durées, de nouveaux cinéastes et de nouvelles façons de faire du cinéma, une façon différente de regarder les films, de les proposer aux spectateurs, puisqu’il y avait plusieurs films dans un même programme. Tout communiquait, ce n’était pas des films hermétiques, une résonance se créait entre les spectateurs, c’était formidable. Je m’intéresse aussi beaucoup au documentaire, on y découvre d’autres formes de récits beaucoup plus larges, plus souples.