Cineastes.net : Que
pensez-vous du terme avant-garde ?
Frédérique Devaux :Recherche me paraît plus intemporel,
alors qu'avant-garde me semble plus pompeux et associé à l'art
plastique. Donc ça ne dit pas sa spécificité.
Il n'y a pas forcément de bon terme. Dans les années 70 on
avait trouvé le terme de « cinéma différent ». Mais
ça ne me convient pas parce que c'est le situer par rapport
à autre chose, par rapport au commercial. Ça sous entend différent…
du cinéma commercial.
Cineastes.net :Est
ce que le cloisonnement de l'expérimental est typiquement
français ?
Frédérique Devaux :À la fois oui et non. À la fois oui
parce que le cinéma de recherche dit « d'avant-garde »
était associé aux arts plastiques : René Clair, Chomette,
Léger etc.
Et en même temps, non, dans ce sens où il ne faut pas oublier
que la naissance des coopératives en France dans les années
70 est en fait quelque chose importé d'Outre-Atlantique. Ça
a été initié en Amérique. Et la France à repris l'idée de
coopérative. Là je crois d'ailleurs qu'elle a raté un rendez-vous
avec sa propre histoire, parce qu'elle était pionnière, elle
avait toutes les cartes en main ; la guerre aidant elle
n'a pas su poursuivre sa propre histoire, sur l'Hexagone.
Ce qui pour moi est un rendez-vous manqué. Mais peu importe.
Le fait est qu'ensuite, le modèle traverse l'Atlantique et
arrive en Europe.
Donc ce n'est pas spécifiquement français. Il existe une coopérative
à Londres, et bien sûr aux USA aussi. Ce qui est plus spécifiquement
français ce serait l'idée de faire des festivals typiquement
expérimentaux, ce qui est une très bonne chose, parce que
c'est 8 jours pour voir du cinéma expérimental.
La France a pourtant du mal à accepter tout ce qui est différent
des modèles dominants, et ça c’est bien français malheureusement.
Cineastes.net :Pourriez-vous
maintenant nous parler de votre travail ?
Frédérique Devaux :J'ai commencé à faire du cinéma expérimental
en 1980. Au départ j'étais critique de cinéma, et je suis
allé couvrir au Centre Beaubourg la rétrospective de Maurice
Lemaître au mois de mars 1980. J'ai étais ravie, au sens étymologique
du terme. Ça m'a énormément plu. Sur ce point, je me suis
dit, il y avait quelque chose à trouver, quelque chose à chercher.
J'ai alors commencé à faire des films, qui sont au départ
très inspirés de l'esthétique lettriste, que j’ai défendu
jusqu’aux années 90 car aujourd’hui, je suis passée à autre
chose, ayant fait le tour des apports lettristes et de la
philosophie de ce groupe avec laquelle j’ai fréquemment été
en désaccord. J'ai écrit des livres sur le lettrisme et je
trouve toujours que certaines des incursions qu'ont faites
les lettristes dans le cinéma expérimental sont absolument
radicales et merveilleuses. C'est parti de là.