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Nadia Meflah :
Je reviens à la première question
concernant l’identité de votre film, en lien avec l’imaginaire
du peuple algérien, qui, parce qu’il était colonisé, a été
dépossédé de sa propre histoire. Où le rapport à l’image,
et ici plus encore, et surtout en l’absence d’image, devient
très important. Ne croyez-vous pas que pour toutes ces raisons,
votre film, s’il n’est pas strictement algérien, appartient
du moins profondément à l’imaginaire du peuple algérien ?
Gillo Pontecorvo : Je
dirais que les Algériens sont particulièrement intéressés
et affectueux pour le film qui raconte leur histoire
mais en vérité ce film est une coproduction menée par l’Italie
avec l’appui de Casbah Films. En tant que cinéaste,
j’étais contre le colonialisme, ainsi que le scénariste Franco
Solinas. On ne le nomme jamais et c’est une erreur, car il
compte pour beaucoup dans le film. Donc, on était très contents
de faire cette histoire qui nous semblait intéressante au
point de vue du cinéma pur, mais qui, en même temps, permettait
de faire quelque chose contre le colonialisme.
Nadia Meflah : Comment
êtes vous entrés en contact avec Yacef Saadi ?
Gillo Pontecorvo : Je
ne sais plus… [il consulte sa femme en italien, présente
à l’entretien] Ah oui ! On avait annoncé sur les
télévisions européennes que Franco Solinas, scénariste, et
moi-même, on avait envie de faire un film et que nous étions
en train d’écrire une histoire qui s’appelait Paras.
Une histoire anti-colonialiste qui commençait en Indochine,
et qui continuait aussi en Algérie. Et sachant cela, les
Algériens sont venus me proposer de faire un film seulement
sur l’Algérie. Mais… (hésitation) cette histoire qu’ils
m’ont apportée, c’était à des années lumières de mon type
de cinéma, c’était un peu laudatif, ce n’était pas un film.
Alors, je leur ai répondu : «ça, on n’en parle
même pas, mais si vous nous donnez carte blanche à Solinas
et à moi pour écrire une histoire sur la guerre d’Algérie,
nous, c’est ce qu’on attend de faire depuis très longtemps. ».
Et ils nous ont dit oui, on a donc écrit l’histoire. Et
ils n’ont réclamé aucun changement, même pas une virgule !
Nous avons tourné le film, avec une production à majorité
italienne et à minorité algérienne, mais quand même assez
forte, à 45% pour cent, algérienne. Avec l’aide très importante
de Yacef Saadi. Il connaissait comme ses mains la Casbah,
c’était chez lui. Les gens d’Alger nous ont énormément aidé
pendant la préparation du film, lors des repérages, pour rencontrer
les personnes qu’il fallait, les endroits justes, les petites
ruelles.
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Mathilde Marx :
Est-ce que vous avez encore le scénario
que les Algériens vous avaient proposé ?
Gillo Pontecorvo : Non,
et c’est tellement loin du cinéma que j’aime… C’était raconté
avec une si forte intention de glorifier, ce n’est plus du
cinéma, c’est un pamphlet. Je l’ai lu à moitié, et Solinas
avait dit : « Non, je ne veux même pas le
regarder. Garde-le-toi. » Je ne me souviens plus
qui l’a écrit, je ne voudrais pas que ce soit Yacef Saadi,
parce qu’il était très capable d’écrire comme ça. Il a des
qualités, mais certainement pas celle d’écrire : il a
du flair, il est très intelligent, mais je ne lui ferais
pas écrire même… trois lignes !
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