Mathilde Marx :
Justement, il y a une question que je
voulais vous poser par rapport au réalisme. Comme Yacef Saadi
joue son propre rôle, ça crée une illusion de réalité alors
qu’en même temps il y a certaines choses qui sont enlevées,
par exemple la participation d’Européens à la lutte du FLN,
avec des gens comme Daniel Timsit ou Annie Steiner qui n’apparaissent
pas. Est-ce que ces choix viennent de vous ou c’est Yacef Saadi
qui vous a raconté comment ça c’est passé et vous avez retranscrit ?
Gillo Pontecorvo : On a
vu des centaines de personnes avant de commencer à écrire,.
On a passé dix-huit mois avec Franco Solinas - qui malheureusement
est mort - à se former. Pour n’importe quel sujet que l’on aborde,
on se forme avant tout. On a rencontré des hauts officiers français,
des parachutistes à Paris pour avoir une idée et des points
de vue contradictoires. Après ce travail de préparation qui
a duré plusieurs mois, avec Solinas, on a écrit ce qu’on voulait
en deux mois. Yacef Saadi est une des personnes qui nous a été
utile en nous présentant des gens là-bas, c’est seulement ça.
Je dois dire que personne n’a imposé un mot. Ni la firme privée
italienne ni la coproduction algérienne qui d’ailleurs n’a pas
dit un mot après, comme si c’était un film sur…sur Cannes !
Il n’y a eu aucune intervention politique, ni du côté italien,
ni du côté algérien. D’ailleurs, je ne l’aurais pas accepté
parce que je faisais le film à la condition que l’on ne change
pas une virgule du scénario. Faire La bataille d’Alger n’était
pas une obligation, comme un médecin qui ordonnerait de faire
un film. C’était tout simplement une obligation morale pour
moi qui suis encore contre le colonialisme.
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Nadia Meflah :
En même temps on ne peut pas mettre
en doute l’importance de Saadi dans le choix d’écarter certains
personnages, notamment sur le fait que la lutte pour la libération
de l’Algérie ait été menée aussi par des non musulmans, des
français, des juifs…
Gillo Pontecorvo : (intervient
plus vivement) Je vous le répète, il y a eu des dizaines
et des dizaines de personnes consultées. Il n’y a eu aucune
intervention de type politique ni de l’Italie, ni de l’Algérie.
On a écrit le scénario qui nous plaisait et qui était et devait
être près de la réalité, pas au niveau des détails, mais
au plus près du sens de la réalité. C’est l’unique loi qui
valait. Si on doit faire un film de commande, on le fait
faire à un ami, pas à soi-même…ou à un ennemi.
Nadia Meflah : Ce
qui est très fascinant dans votre film, qui n’est pas seulement
un pamphlet pour l’Algérie du FLN, c’est de repérer un système
de terreur qui annonce l’intégrisme, un pouvoir politique
et musulman qui se légitime par la police des mœurs, contre
les gens qui boivent du vin par exemple…
Gillo Pontecorvo : Ah
l’intégrisme, je ne sais pas. Mais à l’époque, on a dit ce
qu’on a compris pendant la préparation : qu’avant de
commencer la lutte, il faut se nettoyer nous-mêmes, donc :
plus d’ivrognes, plus de drogués. Solinas et moi on était…On
voyait une autre chose, c’était comme ça.
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