Nadia Meflah :
L’an V de la révolution algérienne ? Peaux noires,
masques blancs ? Les damnés de la terre ?
Gillo Pontecorvo : C’est
ça ! Les damnés de la terre. Il nous a fait comprendre
un tas de choses.
Mathilde Marx : Dans
un de ses autres livres, l’an V de la révolution algérienne,
il y a un passage qui décrit et analyse les gestes de femmes
qui prennent l’apparence européenne comme dans le film.
Gillo Pontecorvo : Il
a été écrit avant ou après le film ?
Mathilde Marx : Avant,
en 1959.
Gillo Pontecorvo : Je
ne l’ai pas lu, mais je vais vous dire une chose : si
vous étiez une algérienne très brune de peau et avec les cheveux
noirs, et que vous deviez poser une bombe dans la ville européenne,
la première des choses à faire, et tous vos amis vous le diraient :
« Fais-toi blonde ! ». C’est naturel.
C’est évident.
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Nadia Meflah :
Votre film a obtenu plusieurs récompenses
internationales, le Prix de la Critique à Cannes en 1966,
le Lion d’Or au festival de Venise, plusieurs nominations
aux Oscars, et pourtant il a été interdit en France où il
faudra attendre six ans pour qu’il obtienne un visa.
Gillo Pontecorvo : Il
n’a pas été interdit. Il n’a pas eu le visa de circulation
pendant un certain temps et j’ai oublié lequel. Mais il y
eu une intervention très importante de Louis Malle qui disait
que «C’est une erreur de ne pas faire sortir ce film » avec
un groupe de cinéastes français qui aimaient beaucoup le film.
Ce n’était pas une interdiction, on n’arrivait pas à le faire
circuler. Ils se sont mis d’accord et ils ont fait tout le
possible pour le faire sortir [en 1971]. Et après, le directeur
de la salle a été menacé par l’OAS. Alors, il a eu un nouvel
arrêt, et on l’a ressorti après encore. Et quand il est sorti,
il a marché assez bien pour un film étranger.
Nadia Meflah : Comment
interprétez-vous la présence de votre film au festival de
Cannes ?
Gillo Pontecorvo : Plusieurs
choses : un, je suis content, parce que, comme tout le
monde, je suis vaniteux et je suis content qu’on montre mon
film à Cannes ; deux, je suis content, parce que ça montre
que le chauvinisme diminue ; et trois, je crois très
fort que ce choix du festival de Cannes, d’ailleurs ils me
l’ont dit, quelqu’un me l’a dit, est dû au fait qu’il y a
2/3 mois le film est sorti à New York avec un impact tel qu’il
a été redistribué dans les villes américaines. Donc, c’est
un film d’actualité et c’est pour ça qu’il a été sélectionné.
En tout cas, j’en suis très heureux.
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