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  Festival de Cannes (c) D.R.

Mathilde Marx : Un détail : j’ai lu dans un article, mais je ne suis pas sûre de cette information, que Saadi refusait de venir à Cannes en souvenir de la lutte contre le colonialisme français. Est-ce que vous pouvez me dire quelque chose à ce sujet ?

Gillo Pontecorvo :  Je ne sais pas, c’est vous qui me l’apprenez. Je sais qu’il s’est précipité partout où le film était présenté. Moi, j’étais juste à Alger.

Madame Pontecorvo : Ma viene, viene, viene !


Mathilde Marx :  Quand le film est sorti, certains étudiants algériens (et des européens d’Algérie dont j’ai recueilli des témoignages) ont été déçus de constater que vous n’avez pas créé une nouvelle esthétique correspondant à la nouvelle Algérie qui se mettait en place.

Gillo Pontecorvo : (coupe la parole) Qui a écrit ça ?


Mathilde Marx :  Ce sont surtout des témoignages oraux.

Gillo Pontecorvo : Ça ne m’intéresse pas. On s’en fout.

Kapo (c) D.R.

Nadia Meflah : Ces témoignages de jeunes algériens, même s’il vous paraissent isolés, ne sont pas si éloignés des critiques de Jacques Rivette et Serge Daney qui, pour votre film Kapo, vous ont reproché un usage esthétique du travelling qu’ils jugeaient moralement critiquable.

Gillo Pontecorvo : Ça me fait rire, mais je trouve ça de mauvaise foi. C’est une envie de critiquer pour je ne sais quelle raison. Parce que ce travelling, je le connais à la perfection, laisse sur la droite un espace suffisant pour qu’on voie les femmes déportées qui marchent à côté de la morte et donnent - ce sont des indications très précises qu’on leur avait données - un regard un peu triste mais passager. Si le critique avait été attentif et n’avait pas déjà une intention présupposée, il aurait dû comprendre que ce travelling était là pour montrer quelque chose d’extrêmement dramatique. C’est-à-dire, l’habitude de la mort. Et si quelqu’un ne l’avait pas compris à ce moment-là, il aurait dû le comprendre. 4 ou 5 minutes après, on voit des déportés qui chargent des pierres, on entend sur la bande sonore une rafale de mitraillette. Ce qui veut dire qu’on a tiré sur un déporté, et le gars qui se trouve à un mètre de la caméra pour bien évoquer ça, donne un petit regard triste, sans rien de plus. Pour raconter la terrible habitude, accettazione, il y a un autre mot ?


Mathilde Marx : Je ne vois pas, « accoutumance »? 

Gillo Pontecorvo : Ce que j’aime, c’est raconter ça, qui pour moi est d’une importance énorme. Et c’est un peu bête de passer à côté de ça. C’est une critique inattentive, ou pour se faire connaître.