La gazette du doublage : Votre
carrière artistique et la mise en mouvement de vos convictions
profondes ont toujours été indissociables. Que s’est-il passé
en 1968 à l’approche de la remise des diplômes de l’Ecole
nationale de théâtre, dont vous avez suivi l’enseignement.
Pierre Curzi : C’était
à l’époque des évènements de mai 1968 en France, la grande
période de la contestation et au Québec on suivait de très
près cette évolution. Nous étions de la même génération que
les « Soixante-huitards », je suis né en 1946 et
en 68 j’avais tout à fait l’âge de m’émouvoir et de comprendre
ce mouvement.
L’Ecole nationale de théâtre à Montréal était nettement sous
domination française et nous on éprouvait l’envie d’exprimer
la réalité politique, sociale et culturelle du Québec. Notre
groupe était composé de gens issus de milieux plus pauvres
que ceux qui avaient exercé le métier de comédien auparavant
et nous avons commencé à revendiquer de travailler avec des
auteurs et des metteurs en scène québécois.
On a littéralement négocié avec la direction de l’école et
au bout d’un moment, il y a eu un point de rupture. Notre
classe a alors décidé de quitter l’Ecole nationale. Ca a été
je crois la seule fois où il n’y a pas eu de promotion et
bizarrement cette classe est probablement celle qui aura permis
au plus grand nombre d’élèves de faire carrière.
La gazette du doublage :Ensuite vous avez fait partie du Théâtre
du Nouveau Monde...
Pierre Curzi : J’ai
fait partie des Jeunes comédiens du TNM, une troupe du Théâtre
du Nouveau Monde, un des théâtres majeurs de chez nous. Nous
étions six dont Jean-Pierre Ronfard, d’origine française,
qui a joué un rôle très important dans le théâtre au Québec
et on bénéficiait d’un petit financement du gouvernement fédéral
ce qui nous permettait de jouer d’une mer à l’autre, de l’Atlantique
au Pacifique.
La tournée a duré une année, durant laquelle nous faisions
tout des décors aux costumes et nous avons parcouru des distances
faramineuses en avion et dans un petit autobus. Il y avait
un spectacle classique, du Molière, ainsi qu’une création
collective. C’était une expérience passionnante : on
apprenait le métier, dans des conditions parfois difficiles,
et en même temps, on découvrait le pays.
C’est durant cette période que j’ai acquis mes convictions
souverainistes parce que quand on voyage au Canada on réalise
que cohabitent deux réalités complètement différentes de par
la langue de chacune. C’est en jouant devant des petites communautés
francophones éloignées situées dans le reste du Canada que
j’ai compris qu’il fallait un statut national indépendant
pour le Québec et c’est toujours une de mes convictions profondes.