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Objectif Cinéma : C’est terrible de détruire ses films !

Rodolphe Cobetto-Caravanes : Non, c’est très sain ! J’ai tourné énormément de films à la fac que j’ai pratiquement tous détruits, presque avec une folie furieuse, puisqu’au bout d’un moment, tu regardes ton film et tu réalise que c’est de la merde et qu’il ne faut pas que les gens le voient !

Cette idée me plaît, c’est assez jubilatoire, puisque ça permet à autre chose de naître. Les films les plus faibles ont payé pour les autres. Parfois je fais des « film-rillettes » comme dit Jonas Mekas, je garde certains plans de plusieurs films pour en faire un autre. Mais ceux-là aussi j’ai fini par les détruire.

Par exemple, lors d’une projection d’un de mes films, j’ai laissé se dérouler la pellicule au sortir du projecteur dans une bassine d’eau de javel, c’était la dernière fois qu’on le voyait. Détruire, c’est sans regret pour l’instant, et ça permet d’avancer.

Deux « grands » films sont en cours, dont un qui devrait finalement s’appeler Expressway to yr. Skull (du titre d’une chanson de Sonic Youth) qui a été remonté de nombreuses fois et que je retravaille encore, et un portrait de ma femme, Elodie, qui se structure petit à petit. J’ai appris quelque chose en faisant des films à tout petit budget : la capacité de se retourner. À l’inverse de ce que disait Hitchcock, le film n’est pas fini lorsque le scénario est fini. Mon but pour l’instant, c’est de terminer tout ce qui est en cours pour recommencer sur quelque chose de plus important, sans doute plus long au niveau de la durée.



  Remixicano (c) D.R.
Objectif Cinéma : Il y a un moment où tu te dis que le film est fini ?

Rodolphe Cobetto-Caravanes : Il y a deux moments où tu te le dis en fait. Il y a le moment Twentuno, où à partir du moment où les copies sont tirées, tu ne réfléchis même pas à comment tu peux améliorer les choses. Pas comme Le Bord intime des foules que j’ai remonté tous les trois ans, ce qui est aussi l’avantage du film underground que tu fais chez toi et que tu ne montres pas tant qu’il ne sort pas de chez toi. Mais c’est aussi un piège. C’est pour ça que j’ai ce projet 2005 qui sera plus précis. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans le cinéma expérimental, mais dans mon cinéma à moi. Tout le monde se met à l’expérimental, en croyant que ça permet de faire n’importe quoi, mais il faut être exigeant avec soi-même.

Le bord intime des foules, je vais le laisser tel quel, je ne peux plus rien couper, sinon il ne resterait plus rien. J’ai filmé ces plans à Bromley, dans la banlieue de Londres où je voulais vraiment me laisser porter par le lieu, par l’ambiance, ce qui donne ce film en suspend. Je n’ai pas vraiment fait ces plans, ils étaient là, c’est tout. Je les ai captés sans m’en rendre compte alors que je les cherchais depuis longtemps. C’est comme le premier Petit Film pour lequel je cherchais une lumière très particulière. Une fois que je l’ai trouvée, je l’ai filmée, et c’est tout. Les choses existent avant moi. Remixicano, un film de found-footage, pourrait être typique de ça. J’ai repris le principe d’un film que j’avais fait bien avant à partir du film Quai des orfèvres de Clouzot, où je n’avais gardé que les plans où le personnage de Dora apparaissait seul, un personnage magnifique, une sorte d’icône. La contrainte Petits Films était « Je vois trop de chose et c’est pour ça que je porte des lunettes de soleil », moi, je ne voulais plus voir qu’elle. Il y avait aussi des fantômes de voix des autres personnages et ça donnait quelque chose de très bizarre au niveau du son. J’ai voulu faire la même chose en 16mm avec un film fantastique mexicain, et alors que Dora bruissait de toutes ces voix fantômes, Remixicano restait lui très silencieux. C’est une réduction du cinéma que j’aime, la série B. Une sorte d’hommage. C’est basiquement conceptuel, alors que je m’attache d’ordinaire plus à ce que les spectateurs ressentent quelque chose devant mes films, du coup les réactions sont toujours étranges devant celui-ci.