Objectif Cinéma : Chez
Tscherkassky, il y a vraiment une réflexion sur qu’est-ce
qu’un film, qu’est-ce que la matière. Chez toi, il y a un
discours plus personnel, tu dis quelque chose de toi, et
pas sur le cinéma.
Rodolphe Cobetto-Caravanes :
Je n’ai pas grand-chose à dire
sur le cinéma, je ne suis pas analyste. J’essaye de transmettre
une vision très personnelle des choses dans mes films et dans
mon « petit monde Caravanes ». J’aime beaucoup Brown
Bunny de Vincent Gallo pour ça. C’est un film éminemment
personnel. Il est très lent, il se passe des micro trucs jusqu’à
la fin où il se passe quelque chose d’énorme. De plus, c’est
un film que tu emportes avec toi quand tu sors de la salle,
que tu portes longtemps. Tu comprends tout grâce à la fin,
du comprend la lenteur, l’errance, etc… Je dois avoir quelque
part envie de produire moi aussi des choses aussi fines et
fortes à la fois. Des films Amora.
Objectif Cinéma : En
fait, je t’ai dit nostalgie, alors que j’avais noté mélancolie.
Ces sentiments font naître tes films ?
Rodolphe Cobetto-Caravanes :
Peut-être, mais dans ce cas, Twentuno est à part
puisqu’il est assez violent, il parle de viol, de l’ex-Yougoslavie,
même si les gens ne le perçoivent pas exactement comme ça.
Je ne sais pas si la nostalgie ou la mélancolie font naître
mes films, mais en tout cas, les sentiments, les sensations
guident leur réalisation.
J’ai mis longtemps à trouver des pistes. Comment un jeune
homme qui aime aller au cinéma voir des histoires passe
au cinéma expérimental qui, selon beaucoup de gens, ne raconte
pas d’histoire ?
Moi, je vois des histoires dans tous les films expérimentaux.
Je vois un western dans Arnulf Reiner de Kubelka par exemple.
Paul Sharits m’a énormément influencé au départ. Il travaillait
sur le photogramme comme Kubelka. Et son film Touching
m’a vraiment troublé, au bout d’un moment, au lieu d’entendre
« touching », j’entendais « destroy »,
la répétition du même mot devient hallucinogène et te donne
une autre interprétation, comme dans les premiers travaux
de Steve Reich.
Mon problème, c’est ce choc avec 20 ans de cinématographie
classique au sens large (on peut même y inclure les fictions
télé, de Starsky & Hutch à Derrick…),
et la rencontre avec un monde totalement différent. Au début,
je ne voulais pas qu’on dise que je faisais du cinéma expérimental.
Je ne voulais pas qu’on m’enferme là-dedans.
Deux cinématographies se rencontrent, que j’aime autant
l’une que l’autre, et c’est dans cet entre-deux que j’ai
envie de travailler, mais cet entre-deux n’existe pas. Je
n’ai jamais pu être catalogué dans un genre, déjà quand
je faisais de la musique.