Objectif Cinéma : Les « non-lieux » sont également très importants, les autoroutes, les endroits où l’on attend…

Ruth Mader : Exactement. Les rues aussi.


Objectif Cinéma : En revoyant le film, j’ai été frappé par le fait qu’il ne comporte pas vraiment de dialogue, d’échange de parole…

Ruth Mader : Il est vrai que les personnages parlent très peu. Et quand ils parlent, il n’y a pas vraiment d’échange non plus. C’est aussi parce qu’il s’agit d’un film sur le travail et que quand on travaille, on ne peut pas parler beaucoup.


Objectif Cinéma : Deux « monologues » semblent ainsi se répondre, ils ne s’adressent à personne en particulier mais énoncent la règle : le premier c’est dans le bus quand l’homme explique les règles de la cueillette, le second, lorsque Marold seul dans sa chambre d’hôtel écoute une publicité pour les croisières…

Ruth Mader : Oui. En quelque sorte, l’homme du bus énonce la règle capitaliste du travail, et la séquence de la fin nous dit ce que doit être la joie – dans nos loisirs… Il y a ces deux monologues tandis qu’Ewa et Marold ne parlent pas entre eux.

Objectif Cinéma : Le travail sur le son va aussi dans ce sens…

Ruth Mader : Oui, j’ai beaucoup réfléchi au son et notamment à la place de la musique. Les « transferts », les déplacements d’un endroit à l’autre sont les seuls moments où les travailleurs clandestins peuvent se détendre un peu, penser à autre chose en écoutant la musique (des autoradios). Cela devait donc être les seuls moments musicaux dans le film.

Toute la bande sonore a été pensée en relation avec ces moments de musique. J’ai décidé assez tôt de travailler avec un « sound designer ». Je tenais à ce que les sons soient réels – je ne voulais surtout pas tricher avec le son – mais en même temps retravaillés en vue d’augmenter leur pouvoir d’évocation. Ainsi par exemple, dans la bande son de l’usine des poulets, un certain nombre de sons ont été rajoutés pour créer cet univers sonore si particulier, ils ont été recomposés. Nous avons augmenté leur volume, travaillé les ambiances aussi.