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Objectif
cinéma : Vous dites à
propos de la voix-off qu’elle vous permet d’instaurer un contact
direct avec le spectateur. Néanmoins ne refusez-vous pas,
même si elle souvent très bien écrite, le côté littéraire
de la voix-off ?
Vincent Dieutre : Non,
je ne le refuse pas. Je me rattache à une tradition de l’écriture
de soi dans le film qui vient de chez Duras. Le statut de
cette écriture n’est pas le même que dans le livre. J’écris
les textes après le tournage et le montage, les textes sont
écrits en fonction de ce qu’il y a à l’image. Plus j’avance
plus j’essaye de travailler ça de faire que le texte ne soit
jamais complètement autonome de l’image. Je ne refuse pas
la dimension littéraire, simplement je lui redonne sa place,
parce que sinon on pourrait se demander quel est l’intérêt
de faire ça en film, puisque le texte est la seule qualité
du film. Donner sa place au texte, c’est jouer sur différentes
voix, différents timbres de la voix, et jouer sur les rapports
entre ces voix et les images et la musique, sur les ambiguïtés
qui existent entre eux.
Objectif cinéma : Par
rapport à l’art contemporain, vous sentez-vous proches d’artistes
qui se mettent eux-mêmes en scènes, à la manière par exemple
de Nan Goldin ou encore Sophie Calle.
Vincent Dieutre : Je
crois que l’art contemporain a, depuis l’épuisement de toutes
les disciplines traditionnelles, la tentation du cinéma et
de l’autofiction. Le cinéma à abandonné ce domaine de l’invention
de soi. Il est donc normal que les artistes s’y engouffrent
et avec talent, notamment avec les films de Wharol, ceux de
Michael Snow, et de Sophie Calle.
Mais il y a d’autres interactions. Le ready-made, l’objet
trouvé m’intéresse beaucoup. Par exemple quand je tourne en
vidéo, ce n’est pas moi qui filme. C’est seulement après que
je découvre une matière dans laquelle je prends ce qui m’intéresse.
Au niveau sonore on est sans arrête dans les objets trouvés.
Il est aussi possible d’utiliser des films d’autres (dans
Rome désolée, le film était coupé de publicités télévisées).
Je joue beaucoup de ça, c’est quelque chose qui m’intéresse.
Disons qu’il y a une l’influence de l’art contemporain en
soi, mais depuis 20ans, j’ai l’impression que le cinéma qui
m’a ébloui quand j’étais adolescent est de ce côté-là. Aujourd’hui
ce serait plutôt dans ce domaine-là que j’irai chercher des
gens qui créent une émotion contemporaine.
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Objectif
cinéma : Il n’y a dans
vos films presque aucune référence au cinéma.
Vincent Dieutre :
Assez peu. Ce qui me fait très peur
dans le cinéma d’auteur français, c’est l’autoréférence. Un
cinéma qui ne renvoie qu’on cinéma. On en vient à un cinéma
qui est en boucle, qui résulte de la cinéphilie, d’un rapport
fétichiste à l’écran, qui ne se nourrit que de lui-même. Je
crois que le cinéma est cannibale, qu’il peut tout incorporer,
s’ouvrir à ce qui n’est pas lui. Sinon on en revient à ces
figures du cinéma, les genres, la bonne histoire, le bon scénario,
les bons acteurs. J’aime le cinéma mais je sais que comme
disais Debord le monde est déjà filmé, même si je filme quelque
chose, ce sera en référence à quelque chose qui a déjà été
filmé. Je pense que le cinéma pour sa survie doit rompre avec
ce cycle d’auto-justification permanente et d’autopromotion.
Nous parlions de personne comme Serge Bozon. Eux ont une démarche
intéressante. Au contraire ils reprennent tout au premier
degré, ils affrontent les dispositifs du cinéma de narration
classique. Ce seraient plutôt des néo-classiques alors que
je suis pour l’abandon pur et simple de ces conventions, pour
revenir à un filmage que j’éprouverais moi-même dans mon corps.
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