Cette tradition, selon Alain
Bergala, institue " le cinéma comme langage ".
Le modèle littéraire œuvre ici encore à
plein :
" Le moment
hégémonique des sciences du langage (linguistique,
sémiologie, sémiotique) a coïncidé
en France avec la montée en puissance de l’idée
du cinéma à l’école. La peur des
enseignants devant cet objet nouveau, le film, pour lequel
ils n’avaient pas été formés, les
a fait se raccrocher à des modèles d’analyse
plus familiers, qu’ils pratiquaient déjà,
en littérature notamment : le succès
jamais démenti de la problématique de l’"adaptation au
cinéma" relève du même réflexe
défensif et sécurisant ". (p.26)
Autre conséquence
liée à l’application de ce modèle, le
risque de le voir
" déboucher
sur une dénégation de la réalité
au cinéma comme art impur, c’est-à-dire
comme "langue écrite de la réalité"
selon Pasolini. [Or] on rate aussi une part essentielle
du cinéma si l’on ne parle pas du monde que le
film nous donne à voir en même temps que
l’on analyse la façon dont il nous le montre et
dont il le reconstruit ". (p.26)
Mesuré dans sa critique,
Alain Bergala rappelle à juste titre que cette méthode
langagière, si elle a le défaut de " partir
du connu pour approcher le moins connu ", a du moins
l’avantage de
" conduire
plus aisément à prendre en compte la spécificité
et la qualité artistique de l’objet film [et d’éviter]
l’instrumentalisation des films, qui consiste à
les choisir et à les regarder en fonction de la
seule exploitation possible de leur sujet, en histoire
ou en littérature par exemple ". (p.26)
Ni formation professionnelle,
ni formation universitaire, que doit être alors une
pédagogie du cinéma comme art ?
" TANSMISSION
DU CINEMA ET TRANSMISSION AU CINEMA "
Seul le désir
instruit
On fait, au sens fort,
l’expérience d’une œuvre d’art ; on la
rencontre comme quelque chose d’autre et de neuf ;
on doit s’initier à sa part d’inconnu. Et, derrière
ce "On" qui expérimente, rencontre et s’initie à
l’art, se cache l’enfant. C’est à l’âge
de l’enfance – l’âge de " la sidération
et de l’énigme " comme dit joliment Alain
Bergala à la suite de Serge Daney et de Jean-Louis
Schefer – que l’on est le plus susceptible de ces expériences
décisives.
L’enseignement actuel du
cinéma n’envisage absolument pas l’enfant, mais uniquement
l’adolescent voire le jeune adulte, et
" [l’école],quand
elle oblige à apprendre – dans le but de qualifier
les élèves pour leur future insertion sociale,
et elle se doit de le faire – n’a pas forcément
pour visée première de favoriser cette possibilité
d’une rencontre individuelle décisive avec une
œuvre. Cette rencontre […], l’école ne pourra jamais
la programmer ni la garantir. Comme toute vraie rencontre,
elle peut aussi bien ne jamais avoir lieu dans sa puissance
de révélation et d’ébranlement personnels ".
(p.41)
Puisque le cinéma
résiste aux formes traditionnelles d’enseignement,
de formation et d’apprentissage, il faut moins chercher à
le dénaturer et à le faire rentrer de force
dans ce cadre, qu’à inventer la forme neuve de transmission
qui lui convienne, à lui ainsi qu’à l’enfant.
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