La proposition, fondamentalement
novatrice, d’Alain Bergala, consiste à développer
une pédagogie de la création :
" [Il y
a] une façon de voir et de réfléchir
sur les films qui constituerait une première initiation
au passage à l’acte. On pourrait lui donner le
nom d’"analyse de création". Elle se distinguerait
de l’analyse classique de films, à la façon
dont l’"analyse didactique", en psychanalyse, se distingue
de l’analyse thérapeutique en ce que sa visée
n’est pas seulement la guérison du sujet mais l’ouverture
à une pratique future d’analyste. L’"analyse de
création", contrairement à l’analyse filmique
classique – dont la seule finalité est de comprendre,
décrypter, "lire le film" comme on dit à
l’école – préparerait ou initierait à
la pratique de la création ". (p.85)
" Dans
cette pédagogie de la création, il s’agirait
de remonter en imagination à ce moment légèrement
antérieur à l’inscription définitive
des choses, où les multiples choix simultanés
qui se posaient au cinéaste étaient sur
le point d’être tranchés, à ce point
ultime où les possibles étaient encore ouverts,
à cet instant encore vibrant d’incertitude […] ".
(p.85)
" C’est
une posture qui demande de l’entraînement si l’on
veut entrer quelque peu dans le processus créateur
pour essayer de comprendre, non pas comment le choix attesté
fonctionne dans le film, mais comment ce choix s’est présenté
à lui parmi beaucoup d’autres possibles ".
(p.85)
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Il s’agit d’envisager le
cinéma d’une façon radicalement novatrice, selon
un angle d’approche qu’une "certaine tendance de l’esprit
français" se refuse à adopter. Une telle posture
exige à la fois de se débarrasser de l’esprit
critique et analytique qui domine outrageusement l’université,
et de désacraliser l’acte de création, devant
lequel l’enseignement français a la duplicité
de se prosterner tout en le cantonnant dans un lointain inaccessible.
Alain Bergala cite régulièrement,
dans son ouvrage, les cours donnés par l’écrivain
cosmopolite Vladimir Nabokov à des étudiants
américains. Ces références, outre leur
valeur propre, incitent à rappeler que l’Amérique
est une terre décomplexée quant à la
création. On y enseigne l’art d’écrire comme
l’art de filmer, comme des choses naturelles ; on ne
dénigre pas cet enseignement ; nombre d’écrivains
talentueux ont bénéficié de tels cours,
le pratiquent eux-mêmes, et n’y trouvent rien à
redire.
PEDAGOGIE
DU CINEMA
Transmettre et créer
On a vu jusqu’ici quelle
était " l’hypothèse cinéma "
élaborée par Alain Bergala : que le cinéma
est un art ; que l’art se rencontre, et qu’à l’art,
on initie avant de former ; que l’art est une création
du nouveau, et qu’initier à l’art doit engager à
initier à la création.
Le livre d’Alain Bergala
ne se contente pas de soumettre cette hypothèse au
lecteur et d’en développer les diverses thèses,
il en propose également une méthode d’application.
L’école devrait
ainsi d’abord :
" organiser
la possibilité de la rencontre avec les films ",
" désigner,
initier, se faire passeur ",
" apprendre
à fréquenter les films ",
" tisser
des liens entre les films ". (p.41 à 46)
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