C’est là son rôle
le plus délicat à remplir, parce que les plus
belles rencontres avec l’art et le cinéma sont souvent
" imprévues " et " clandestines ",
et qu’elles se jouent aussi souvent pour l’enfant en-dehors
de l’école ; parce qu’une telle initiation demande
à l’école et à ses agents de remplacer
la relation d’enseignant à élève par
une relation de " personne à personne ".
C’est aussi un rôle décisif, pour que le moment
de la rencontre ne soit pas seulement ponctuel mais aussi
engagé dans un processus de re-vision et de révision
des œuvres, et pour que le film rencontré soit relié,
rapproché et confronté à d’autres films,
l’occasion d’autres rencontres et la condition d’une culture
du cinéma.
Pour ce faire, l’école
devrait bénéficier d’une " collection
de films " et les enfants d’un accès facile
et souple à cette collection.
" La stratégie
qui m’a semblé la plus juste et la plus urgente,
au sein de l’Education Nationale, était de deux
ordres : fournir un premier capital de films susceptibles
de constituer une alternative au cinéma de pure
consommation ; établir et proposer, grâce
aux possibilités du DVD, une pédagogie du
cinéma légère en didactisme, fondée
essentiellement sur la mise en rapport de films, de séquences,
de plans, d’images venues d’autres arts "
Ce choix du DVD comme support
d’initiation répond à la fois au progrès
contemporain de la technique, à la pratique courante
de visionnement des films – on sait que le DVD est en plein
essor et que voir un film sur DVD suppose une approche différente
de l’œuvre, par les " fragments " qui
la constituent – et, malheureusement, à la raréfaction
des salles de cinéma dans la plupart des régions
non-urbaines de France.
Enfin, cette initiation
au cinéma devrait être une initiation à
la création ; la posture adoptée, celle
décrite plus haut d’" analyse de création ".
La tâche du pédagogue serait alors de porter
attention aux " opérations mentales fondamentales
de l’acte de création " :
" Au cinéma,
au cours des différentes phases de travail, il
faut toujours :
Elire : choisir
des choses dans le réel, parmi d’autres possibles.
Au tournage : des décors, des acteurs, des
couleurs, des gestes, des rythmes. Au montage : des
prises. Au mixage : des sons seuls, des ambiances.
Disposer : placer
les choses les unes par rapport aux autres. Au tournage :
les acteurs, les éléments du décor,
les objets, les figurants, etc. Au montage : déterminer
l’ordre relatif des plans. Au mixage, disposer les ambiances
et les sons seuls par rapport aux images.
Attaquer : décider
de l’angle ou du point d’attaque sur les choses que l’on
a choisies et disposées. Au tournage : décider
de l’attaque de la caméra (en termes de distance,
d’axe, de hauteur, d’objectif) et du (ou des) micros.
Au montage, une fois les plans choisis et disposés,
décider de la coupe d’entrée et de sortie.
Au mixage, même chose pour les sons ".
(p.88)
Cette attention n’est sans
doute jamais mieux soutenue que par l’observation attentive
d’un cinéaste au travail (documentaires,…), par la
lecture des entretiens donnés par les cinéastes
et de leurs livres – il faut résister à cette
tendance néfaste et dominante qui rejette la parole
des cinéastes, réduite à la seule expression
de leurs "intentions", au profit du seul "texte" de l’œuvre
achevée –, ou encore par l’observation attentive du
jeu des acteurs, seul élément de la création
cinématographique qui échappe radicalement à
toute volonté de maîtrise (cf. p.99 à
102).
Cette attention, enfin,
doit conduire le pédagogue à accompagner les
enfants dans leur propre acte de création : accompagnement
qui ne doit pas viser pas à construire un objet parfait,
plaisant, réussi à tout prix mais à
" présenter
les films pour ce qu’ils sont, des traces d’expérience,
des étapes d’un processus créatif, en insistant
avant tout sur leur valeur d’apprentissage ".
(p.110)
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