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Et cette précision
musicale dans ses films ne signifiaient pas " mickey-mousing
", ses partitions, certes soucieuses des moindres gestes
de personnage et des moindres signes, n’étaient en
aucun cas pléonastiques par rapport au jeu des interprètes
ou aux gags. Chaplin s’est d’ailleurs très bien expliqué
sur ce point lorsqu’il abordait la bande sonore :
" L’un des avantages du son était que je pouvais
contrôler la musique. (…) Une musique élégante
donnait à mes comédies une dimension émotionnelle.
Les arrangeurs de musique l’ont rarement compris. Ils voulaient
que la musique soit drôle. Je leur expliquais alors
que je ne voulais pas de concurrence et que, pour moi, la
musique devait être un contrepoint de gravité
et de charme, pour exprimer des sentiments, sans lesquels,
comme le disait Hazlitt, une œuvre d’art est incomplète.
" (Chaplin, in " Histoire de ma vie ",
Laffont, 2002)
Il suffit pour s’en convaincre de réécouter
sur le présent album le morceau " Animal Trainer
" tiré de Limelight. Il n’y a nulle "
concurrence " entre le comique de Chaplin et la musique
(musique constituée de soubresauts mais surtout de
nombreux silences, laissant vivre la scène). Cela fera
peut-être bondir les amoureux de la musique de film
qui défendent les concerts de musique de film, mais
Chaplin considérait la musique de film avant tout comme
un agent interne, discursif et émotionnel :
" Le son d’une musique de film ne doit jamais être
le même que celui d’une musique de concert. Bien qu’elle
transmette plus de choses au spectateur-auditeur que la caméra
à un moment donné, elle ne doit jamais être
plus que la voix de la caméra. " (Charles
Chaplin, in " Histoire de ma vie ", Laffont,
2002)
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Pourtant, à entendre
quelques-unes de ses créations musicales, réellement
inspirées ("This is my song " de Countess
from Hong Kong), on peut s’interroger. D’autant que Chaplin
s’entourait d’excellents orchestrateurs parmi les plus grands
compositeurs hollywoodiens (David Raskin, Alfred Newman…),
mais était conseillé aussi par ses amis musiciens
: Rachmaninov, Horowitz, Stravinsky, Eisler et Shoenberg (ce
dernier lui avouant même qu’il n’aimait franchement
pas la musique de Modern Times).
Bien qu’il n’écrivait ni ne lisait la musique, Chaplin
était peut-être avant tout un musicien (consacrant
son enfance à l’apprentissage du violon plusieurs heures
par jour). " Tout, d’ailleurs, dans le personnage
de Charlot semble musical. Qu’il s’agisse du dandinement binaire
de la démarche, du legato parfait de chaque geste,
de l’orchestration minutieuse du moindre gag. " (X.Lacavalierie,
in " Télérama ", 111H, 2002,
p. 40) Et quand bien même on ne voudrait juger que la
qualité effective de sa musique, c’est bien un vrai
style de composition qui apparaîtrait. Pour Timothy
Brock : " Malgré les différents arrangeurs
et directeurs musicaux avec lesquels il [Chaplin] a travaillé,
on peut à chaque fois très clairement reconnaître
l’écriture musicale de Chaplin. " (" Télérama ",
111H, 2002, p.43)
On retrouve dans ce nouvel album ses cuivres électriques
et espiègles, l’aspect " cirque " des percussions
doublé de l’élégance de ses mélodies
populaires, et ses flûtes gazouillantes, notamment dans
" Spring Song " (Limelight). Un style même,
qui aura fait aussi l’universalité de son œuvre voguant
entre la douceur maniérée et la voix de l’homme
de la rue. Jean Cocteau parlait d’ailleurs ainsi de son ami
Chaplin : " Il s’adresse à tous les âges,
à tous les peuples. Le rire esperanto. Chacun y cherche
son plaisir pour des raisons différentes. "
(Carte blanche, 1919).
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