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Peut-être faut-il au contraire aller
au-delà de cette interprétation. En observant Fellini “ manœuvrer ”
ses acteurs (la scène introductive du documentaire est à cet
égard aussi belle qu’éloquente), on comprend également que
le moindre geste est non pas pensé mais imaginé, que ce que
voit Fellini, il le voit en détail, en rythme, en douceur.
Nous y voilà. Fellini n’est pas seulement un marionnettiste
mais un homme qui, à travers son art, délivre une vision.
Et le spectateur de s’irriter (encore) ou non de ce trait
si caractéristique des documentaires consacrés aux auteurs-réalisateurs
qui consiste parfois à mettre ces derniers sur un piédestal
et à consacrer leur vision dans un aveuglement certes amoureux
mais somme toute stérile. Tout se passe en effet comme si
ces documentaires ne faisaient que ressasser les mêmes thèmes,
les mêmes angles (ici d’innombrables plans serrés sur le regard
grave et attentif de Fellini), les mêmes éloges à l’homme
d’imagination, l’Artiste, le visionnaire. La question n’est
pas de savoir si ces plans ou ces qualificatifs sont fondés
ou non - certains le sont d’autant plus qu’ils sont alimentés
sinon confirmés par l’intéressé – mais de définir le regard
que le documentariste doit poser sur celui qu’il filme. Bien
entendu le regard de Bachman est toujours chargé, qu’il le
veuille ou non, des images tournées par Fellini. Il n’en reste
pas moins que le problème de ce documentaire est de ne jamais
rien interroger, de consacrer chaque regard, chaque image,
comme autant de signes appuyant les quelques préjugés que
Bachman avaient déjà avant d’arriver sur les lieux du tournage.
Il semble ainsi que le réalisateur soit partie prenante de
cela même qu’il filme - cette équipe de tournage si belle
et harmonieuse - et qu’il ne fasse aucun doute pour lui que
Fellini puisse être enfermé sous différents plans tous équivalents
à autant d’étiquettes. L’adoration documentaire peut parfois
confiner à la fiction fantasmée. A moins n’ait effectivement
soufflé sur ce tournage, comme le raconte ailleurs Anna Karina
au sujet de Bande à part, un vent qui parcourt indifféremment
réalité et fiction au point que les deux, in fine,
se mêlent…
Venons-en à ce qui présente certainement un intérêt plus grand
que ce making of un brin complaisant : l’interview
présentée dans le bonus. Une surprise d’abord : aucune
information n’est fournie sur ces 30 minutes d’interview.
Ni le jour où elle a été faite ni même l’identité du journaliste
qui interroge Fellini. Passons. Ce document est si intéressant
qu’il devrait être montré à tous les critiques de cinéma avant
qu’ils n’effectuent leur première interview. Il montre en
effet, essentiellement en négatif, ce qu’un critique ne doit
pas faire et plus précisément, les points où le discours de
l’artiste et celui du critique divergent le plus fortement.
Tachons de reprendre dans l’ordre ces quelques points.
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A plusieurs reprises, celui que nous
nommerons faute de mieux “ critique ”, invite
Fellini à participer à une réflexion plus large sur les
ressorts de son travail artistique. Il évoque quelques aspects
de ce travail (politique, religieux) et finit ainsi par
demander à Fellini s’il se sent investit d’un sentiment
de responsabilité lorsqu’il crée ses films (le critique
va jusqu’à parler de “ mission ”). Et Fellini
de répondre, de manière plus ou moins détournée, qu’il n’a
pas de dessein politique ni même religieux a priori. Il
reconnaît néanmoins qu’il a parfois, grâce aux lettres de
remerciements qui lui parviennent, le sentiment que son
œuvre trouve rétrospectivement une justification et que
cette même justification (ou devrait–on dire gratification)
de son travail ( “ ce métier de troubadour ”
comme il dit) le rend plus digne.
Tandis que le critique lui pose des questions en termes
de mission, de responsabilité et donc d’intention, Fellini
répond exclusivement sur des événements survenus après le
tournage et le montage, c’est-à-dire une fois le film terminé.
A travers cette divergence de vues, c’est toute une approche
du cinéma que Fellini invite à revoir, qui découle essentiellement
de l’analyse littéraire telle que la définit l’école lansonienne.