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Ciao Federico ! (c) D.R.

Peut-être faut-il au contraire aller au-delà de cette interprétation. En observant Fellini “ manœuvrer ” ses acteurs (la scène introductive du documentaire est à cet égard aussi belle qu’éloquente), on comprend également que le moindre geste est non pas pensé mais imaginé, que ce que voit Fellini, il le voit en détail, en rythme, en douceur. Nous y voilà. Fellini n’est pas seulement un marionnettiste mais un homme qui, à travers son art, délivre une vision. Et le spectateur de s’irriter (encore) ou non de ce trait si caractéristique des documentaires consacrés aux auteurs-réalisateurs qui consiste parfois à mettre ces derniers sur un piédestal et à consacrer leur vision dans un aveuglement certes amoureux mais somme toute stérile. Tout se passe en effet comme si ces documentaires ne faisaient que ressasser les mêmes thèmes, les mêmes angles (ici d’innombrables plans serrés sur le regard grave et attentif de Fellini), les mêmes éloges à l’homme d’imagination, l’Artiste, le visionnaire. La question n’est pas de savoir si ces plans ou ces qualificatifs sont fondés ou non - certains le sont d’autant plus qu’ils sont alimentés sinon confirmés par l’intéressé – mais de définir le regard que le documentariste doit poser sur celui qu’il filme. Bien entendu le regard de Bachman est toujours chargé, qu’il le veuille ou non, des images tournées par Fellini. Il n’en reste pas moins que le problème de ce documentaire est de ne jamais rien interroger, de consacrer chaque regard, chaque image, comme autant de signes appuyant les quelques préjugés que Bachman avaient déjà avant d’arriver sur les lieux du tournage. Il semble ainsi que le réalisateur soit partie prenante de cela même qu’il filme - cette équipe de tournage si belle et harmonieuse - et qu’il ne fasse aucun doute pour lui que Fellini puisse être enfermé sous différents plans tous équivalents à autant d’étiquettes. L’adoration documentaire peut parfois confiner à la fiction fantasmée. A moins n’ait effectivement soufflé sur ce tournage, comme le raconte ailleurs Anna Karina au sujet de Bande à part, un vent qui parcourt indifféremment réalité et fiction au point que les deux, in fine, se mêlent…

Venons-en à ce qui présente certainement un intérêt plus grand que ce making of un brin complaisant : l’interview présentée dans le bonus. Une surprise d’abord : aucune information n’est fournie sur ces 30 minutes d’interview. Ni le jour où elle a été faite ni même l’identité du journaliste qui interroge Fellini. Passons. Ce document est si intéressant qu’il devrait être montré à tous les critiques de cinéma avant qu’ils n’effectuent leur première interview. Il montre en effet, essentiellement en négatif, ce qu’un critique ne doit pas faire et plus précisément, les points où le discours de l’artiste et celui du critique divergent le plus fortement. Tachons de reprendre dans l’ordre ces quelques points.

  Ciao Federico ! (c) D.R.

A plusieurs reprises, celui que nous nommerons faute de mieux “ critique ”, invite Fellini à participer à une réflexion plus large sur les ressorts de son travail artistique. Il évoque quelques aspects de ce travail (politique, religieux) et finit ainsi par demander à Fellini s’il se sent investit d’un sentiment de responsabilité lorsqu’il crée ses films (le critique va jusqu’à parler de “ mission ”). Et Fellini de répondre, de manière plus ou moins détournée, qu’il n’a pas de dessein politique ni même religieux a priori. Il reconnaît néanmoins qu’il a parfois, grâce aux lettres de remerciements qui lui parviennent, le sentiment que son œuvre trouve rétrospectivement une justification et que cette même justification (ou devrait–on dire gratification) de son travail ( “ ce métier de troubadour ” comme il dit) le rend plus digne.

Tandis que le critique lui pose des questions en termes de mission, de responsabilité et donc d’intention, Fellini répond exclusivement sur des événements survenus après le tournage et le montage, c’est-à-dire une fois le film terminé. A travers cette divergence de vues, c’est toute une approche du cinéma que Fellini invite à revoir, qui découle essentiellement de l’analyse littéraire telle que la définit l’école lansonienne.