Car le thème principal de ces trois
films que l’on appelle un peu vite fantastiques est bien le
rapport entre les êtres. Les personnages ont tous en eux une
peur qui les empêche de se rapprocher de l’autre, qui fait
que la présence de l’autre est dangereuse pour tous.
Dans La féline, la jolie Irina vit dans l’angoisse
perpétuelle de faire du mal à son mari si celui-ci s’approche
d’elle trop intimement. Les deux personnages sont constamment
séparés, volontairement ou forcés. Elle s’enferme dans sa
chambre, lui tambourine à la porte : chacun d’un côté
de la cloison touche l’autre virtuellement, s’enfermant dans
une solitude incomparable : si proche et pourtant inaccessible.
Les personnages de Tourneur sont toujours complexes, vivant
dans un éternel paradoxe, entre attirance et répulsion, fascination
et terreur pour l’inconnu. La première rencontre entre la
jeune infirmière et sa patiente dans Vaudou en est
l’exemple le plus retentissant : alarmée par des pleurs
en pleine nuit, la jeune femme attirée par le bruit reste
paralysée devant l’image fantomatique qui s’offre à elle,
vision magnifique et pourtant angoissante. Tourneur joue sur
l’éternelle inquiétante étrangeté qui fait de l’Autre un ami
tout autant qu’un ennemi. Ainsi dans L’homme léopard,
la jeune chanteuse terrorisée par la bête qu’on lui présente
accepte de parader avec un léopard en laisse. La joueuse de
castagnettes, elle aussi impressionnée, voudra dépasser son
appréhension en intimidant l’animal. Dans La féline,
Irina, malgré sa peur ancestrale libèrera la panthère de sa
cage.
Si la peur fait partie intégrante de
ces trois films de Tourneur, le but est toujours de s’en affranchir.
Les personnages voudront constamment rationaliser ce qui ne
peut l’être, comme ils voudront apprivoiser un animal sauvage.
Morte de peur, la jeune femme amoureuse en secret du mari
de sa rivale dans La féline ne voudra pas qu’on la
raccompagne, préférant rentrer seule dans le noir, à ses risques
et périls. Il en est de même pour la joueuse de castagnettes
dans L’homme léopard qui, après s’être hâté de rentrer
chez elle, prend le risque de ressortir afin de retrouver
l’argent qu’elle a perdu. Les personnages apprendront que
le danger n’est jamais évitable, car tout, chez Tourneur,
est question de destin : malgré ses efforts, Irina se
transformera en panthère ; dans L’homme léopard,
Cloclo a beau se faire tirer les cartes encore et encore,
la mort apparaît inlassablement ; la maladie de la femme
zombie dans Vaudou semble être incurable et même surnaturelle.
Les ingrédients des films de Tourneur sont simples :
des corps et de la lumière. Jamais l’absence de décor ne fut
plus flagrante. Les formes se font et se défont au gré des
ombres menaçantes. Les personnages cherchent désespérément
à entrer dans la lumière, comme si celle-ci était protectrice,
comme si le véritable danger était l’ombre, et non ceux qui
l’habitent. La lumière forme autant que l’ombre informe. Deux
régimes de représentation s’opposent : le palpable et
l’évanescent, le réel et le fantasmé. A la lumière du jour,
le léopard révèle un homme, le zombie une femme malade, la
panthère une jeune femme.