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Le câble fonctionne selon le système
du pay per view. Leurs budgets limités font que les saisons,
qui s'étendent ordinairement de septembre à juin avec 24
épisodes, ne comptent souvent que 13 épisodes. HBO, SCI-FI
Channel et Showtime s’apparentent à des antichambres
de la télévision mainstream et jouissent d’une grande
liberté de conception et de ton. Elles produisent et diffusent
des séries qui ne verraient jamais le jour sur les autres
grands networks. Pour réduire les coûts, certaines productions
sont même disponibles en syndication après leur diffusion
sur le câble. Le marché de la syndication permet
aux chaînes locales et aux grands networks de racheter certains
programmes pour des rediffusions. HBO, le Canal +
américain, ne passe pas de pubs, ne censure pas les jurons
et propose une grande sélection de feuilletons pour adultes :
Dream on, The Sopranos, Oz... Elle
produit aussi des films pour le cinéma, dernièrement la
Palme d’Or à Cannes Elephant de Gus Van Sant. En
2002 les chaînes du câble (près de 85 % des téléspectateurs
américains sont abonnés à des services du câble ou du satellite)
ont obtenu plus de téléspectateurs en « prime time »,
que le network hertzien.
Pour comprendre le processus d’évolution des programmes
de fictions télévisées on peut appliquer, comme l’a fait
Bourdieu pour le champ culturel, la loi de Jdanov. Plus
un producteur culturel est autonome, riche en capital spécifique,
plus il est enclin à la résistance. Au contraire, plus il
destine ses produits au marché de grande consommation, plus
il est enclin à un processus de soumissions sans conditions
à ses diffuseurs. Ces derniers sont liés à la demande des
annonceurs et la publicité influe sur l’orientation des
émissions. Les séries télévisées subissent la frilosité
des chaînes, les contraintes de l’audimat et un interventionnisme
récurrent qui brident l’imaginaire. Celles qui sont diffusées
sur le réseau hertzien sont soumises à une évaluation qui
a lieu durant la période des sweeps. C’est le moment
ou la concurrence est la plus élevée aux Etats-Unis pour
les séries, on y mesure l'audimat afin de fixer les tarifications
publicitaires. Les sweeps ont lieu en novembre, février
et mai, et sont déterminantes pour leur survie. Afin de
faire grimper l'audimat, des guest-stars sont invitées,
des cross-over sont orchestrés. Les chaînes font
alors leur bilan, et si les recettes publicitaires sont
trop maigres, on en arrête la production.
LA « NOUVELLE VAGUE »
DE LA SERIE
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Twin Peaks de David Lynch,
diffusé sur ABC d'avril 1990 à juin 1991, marque
une première rupture dans l’univers jusqu’alors engourdi
de la fiction télévisée. Cette série policière tourmentée,
pourvue d’une trame romanesque complexe, laisse s’éloigner
le suspense et permet au génie de Lynch d’éclater dans la
partie créative et esthétique, l’étude de mœurs s’engouffrant
dans les abîmes d’une atmosphère surnaturelle. Le créateur
d’Eraserhead, Dune, Blue Velvet et
Mulholand Drive a fait passer le genre mineur de
la série d’un simple produit télévisuel à celui d’une ambitieuse
et remarquable œuvre d’auteur où il a déconstruit entièrement
le patrimoine feuilletonesque américain en réalisant le
premier « film-cerveau » de la télévision.
Profit, diffusé sur Fox en avril 1996, est écrit
et produit par John McNamara (qui signe actuellement Fastlane).
Composé de 8 épisodes, elle accompagne, sur un autre plan,
le virage crucial qui s’est opéré, à l’intérieur même d’un
groupe comme la Fox, dans le paysage audiovisuel outre-atlantique.
Obsédé par le pouvoir (l’anti-héros Jim Profit est cadre
supérieur dans la multinationale Gracen & Gracen), il
est déterminé à écarter toutes les personnes qui pourraient
freiner son désir de réussite professionnelle. Quelques
mots de Don de Lillo, tirés d’Americana, illustrent
merveilleusement le tempérament de ce golden boy diabolique:
« Les hommes aiment qu’on leur raconte la défaite,
l’échec l’effondrement, la perdition d’un autre ; cela
les rend plus forts ». MacNamara décrit une descente
aux enfers dans les arcanes de la société des affaires,
et nous immerge dans l’esprit de Profit qui s’affirme
comme une représentation des travers de l’Amérique. L’auteur
y dénonce la manipulation politique et sociale et met aussi
en scène le mythe effondré des Etats Unis qui n'ont plus
de mythique que leurs propres hantises. Il décrypte les
obsessions, les jalousies et les phobies de la famille Gracen,
un symbole fictif du capitalisme exacerbé. Profit a été
élevé par son père dans une boîte en carton, fut brûlé par
l’explosion de la télévision familiale, s'y endort, néanmoins,
nu, tous les soirs, après avoir choisi sa prochaine victime.
Machiavélique, calculateur et doté d’une personnalité complexe,
il entretient une relation incestueuse avec sa belle-mère,
une cocaïnomane, nymphomane. Il semble s’être échappé de
l’esprit acerbe de Bret Easton Ellis. Le mystère Profit
a ainsi terrifié les téléspectateurs américains au
point de signer son arrêt de mort après seulement huit épisodes.