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La scène d’ouverture, magistrale,
révèle tout le talent audacieux du jeune metteur en scène.
Dans un bus, un pickpocket se presse effrontément contre
une jeune prostituée féline afin de lui subtiliser son portefeuille
qui contient en fait des documents importants dont il n’a
que faire. La relation entre ces deux personnages issus
des bas-fonds new-yorkais constituera la trame principale
d’un film qui affirme, de ce fait, sa marginalité. De là,
s’en suit une série d’enquêtes plus ou moins officielles
qui va conduire la police sur les traces du faux coupable,
pris un instant pour un espion communiste, qui va tout tenter
pour recouvrer son intégrité.
Dans son approche psychologique, jamais le film ne fait
preuve de manichéisme dans le traitement des personnages,
tant ils sont constamment entretenus sur le fil de l’ambiguïté,
affirmant leur individualité et tirant leur force de leur
part d’ombre. La réalisation et la mise en scène, exemplaires,
usent des clairs-obscurs et d’un noir et blanc contrasté
avec une aisance déconcertante, de quoi faire pâlir d’envie
les quelques maîtres du film noir de cette époque, comme
Howard Hawks, Fritz Lang, Otto Preminger ou encore Raoul
Walsh.
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Bref, tous les ingrédients seraient
réunis pour faire de ce deuxième film une œuvre de maître
au même titre que fut considéré Shock Corridor lors
de sa sortie en 1963. Et pourtant, un gros malaise persiste.
Durant la projection, on croit, on espère surtout, que toute
cette paranoïa orchestrée autour du méchant communiste va
un instant faire l’objet d’une autocritique subtile et bienvenue,
comme le fit par exemple John Huston dans Key Largo
en 1948. Mais la déception est grande, car le « rouge »
(le mot est répété un nombre de fois incalculable) est un
paria bien plus minable que les petits truands qu’il faut
éradiquer de toute urgence. Jamais le réalisateur ne propose,
ou même n’aborde, une remise en question de l’ordre moral
tel qu’il était préconisé par le maccarthysme des années
50. On comprend alors pourquoi les distributeurs français,
conscients que ce parti-pris idéologique grossier jouerait
en la défaveur du succès commercial de l’œuvre, ont choisi
de débaptiser le film de son titre original, à savoir Pickup
on south street, pour y injecter une quelconque affaire
de drogue, peu à-propos. La version française, ainsi rebaptisée
Le Port de la drogue, tronque les dialogues explicites
par un doublage qui fait état de la formule secrète d’une
nouvelle drogue peu crédible en vue des enjeux prétendument
soulevés par la mise en scène.
Bonus :
L’objectif de cette réédition de l’œuvre de Samuel Fuller
marque aussi une volonté, celle de réhabiliter la version
originale dans un souci de respect de l’auteur. Les bonus
du DVD, particulièrement riches et instructifs, sont aussi
là pour tenter d’apporter une réponse aux plus sceptiques
d’entre nous, d’expliquer l’intention d’un réalisateur qui,
avec Le Démon des eaux troubles réalisé l’année suivante,
explicitait une fois de plus un propos foncièrement anti-communiste.
Du microfilm à la poudre blanche explique clairement
les raisons pour lesquelles les distributeurs français,
plus particulièrement, ont refusé de présenter le film dans
sa version originale, conscients qu’en France, durant les
années 50, le Parti Communiste était populaire et remportait
un nombre certain de voix. Plusieurs scènes sont d’ailleurs
mises en parallèle afin de montrer la manière dont le doublage
français a su contourner le problème idéologique en réécrivant,
par le simple biais des dialogues, la genèse même de l’intrigue.
Mais force est de constater que les enjeux soulevés par
la réalisation, comme l’utilisation magistrale des contre-plongées
et des travellings avant, donne une force peu adéquate à
la nouvelle version du film.