Ainsi est-on tout de suite fixé sur
la nature de ce film. Il s’agit d’une réflexion sur le western,
sur les mythes fondateurs des USA transposés au Japon. Un
film où la poudre et le sabre vont reprendre ce dialogue que
le Colt entretînt avec les flèches brisées.
Malgré son exil, Ethan, héros archétypique de western, est
confronté à deux scénarios basiques du genre.
Premièrement, en tant que vétéran alcoolo rongé par la culpabilité
et la honte, hanté par son passé, il doit gagner sa rédemption
par la vertu et l’ascèse, il doit trouver sa place, donner
un sens à son existence par l’accomplissement d’un devoir
qui lui rendra son honneur. Les caractères de son espèce sont
légion dans le western et ont pour modèle classique le Dude
Borachon (Dean Martin) de Rio Bravo.
Deuxièmement, autre canevas narratif à exécuter: le bourreau
(toujours du côté du pouvoir) doit se racheter en épousant
la cause de ses victimes (toujours minoritaires), en devenant
la figure de l’autre. On pense alors au Ford de Les Cheyennes.
A cela s’ajoute et se mêle le topos du récit de captivité,
motif bien connu de la littérature et du cinéma américain
(1). Voir La prisonnière du Désert (John Wayne s’y
prénomme d’ailleurs Ethan), Cet homme qu’on appelait cheval,
et plus récemment Danse avec les loups. Le Dernier Samouraï rejoue ces thèmes sur la scène japonaise (sorte
de Far Far West), Ethan soldant par son devenir-samouraï la
dette contractée à l’égard du peuple indien.
Cette ouverture sur l’autre (le Japonais,
le Samouraï, qui n’est finalement qu’un Indien plus à l’Ouest)
se fait ici par petites touches un peu grossières, qui vont
du port du kimono à l’adoption du bushido, de l’apprentissage
de la langue étrangère à la love story mixte américano-japonaise.
Les ennemis d’hier, chacun étant le barbare de l’autre, vont
s’apprendre mutuellement jusqu’à ce qu’Ethan trouve les racines
qui lui faisaient défaut et les valeurs qui épongeront sa
dette et annuleront sa faute. Parcours initiatique banal mais
toujours intéressant.
Et tout le film d’exposer, au niveau collectif et individuel,
ce conflit, ce choc des cultures. L’Amérique d’une part, avec
ses canons et ses machine-guns, son goût pour le commerce
et l’efficacité. Le Japon d’autre part, porteur d’une culture
classique incarnée par la voie du samouraï. Rien de plus normal
donc que cette histoire prenne pour cadre historique l’ère
Meiji, moment d’ouverture pour l’archipel nippon, début d’une
occidentalisation, voire d’une américanisation qui se poursuit
jusqu’à nos jours et demeure un problème brûlant pour les
Japonais.
America versus Japan, sabre contre poudre, western et film
de sabre : l’opposition est de tous les instants et constitue
l’axe dynamique du récit. On voit par exemple se succéder
deux séquences qui empruntent aux genres cinématographiques
précédemment cités. Les samouraïs retirés dans un village
isolé se préparent à l’assaut qu’un ennemi pléthorique va
lancer sur eux. Toute la deuxième partie des Sept samouraï
s’y employait déjà. Quant à l’ultime cavalcade des braves
contre les mitrailleuses, elle reprend jusque dans son usage
du ralenti le baroud suicidaire de La horde sauvage
de Peckinpah.