Mais ce qui surtout étonne dans ce
blockbuster typiquement hollywoodien, c’est son contenu contestataire,
la minutie qu’il met à saper certains des piliers du système
idéologique dont il est issu.
Ethan prend fait et cause contre l’empereur (contre son premier
ministre plus exactement, manipulateur retors et traître à
son peuple) qui livre son pays au mercantilisme et à l’américanisation.
Il voue son existence à protéger ce qu’il a appris à aimer
contre les atteintes impérialistes du pays où il est né. Voilà
une quête qui a une résonance particulière lorsqu’on songe
à l’actuelle politique internationale des Etats-Unis. Il renie
donc l’impératif patriotique qui s’impose à tout citoyen américain.
Transgression d’importance.
De plus, son choix remet en cause la marche en avant du progrès
et l’extension de son règne impitoyable d’efficacité. L’oppression
vient ici de la modernité, tandis que la tradition, loin d’être
un frein à l’émancipation, se présente comme le cadre idéal
d’un épanouissement personnel. Le progrès révèle son potentiel
destructeur, son côté « marche forcé », son mépris
du passé, le peu de cas qu’il fait de ceux qui enfreignent
sa course (indiens d’Amérique jadis, samouraïs dans cet opus,
indiens d’Amazonie aujourd’hui).
Enfin, ce film bat en brèche, bien
qu’avec discrétion, l’égalitarisme, et donc l’idéal démocratique
consubstantiel de la naissance du nouveau monde. En définitive,
les samouraïs sont une élite vieillissante que les masses
ascendantes jettent au rebus de l’histoire. Des régiments
aux couleurs quasi yankee mettent fin à l’héroïsme médiéval,
la troupe soldatesque tranche le chignon d’un seigneur de
la guerre, l’humiliant en pleine rue. Dénonciation du populacier
qui l’emporte sur le distingué désuet, mise en cause du « tous
égaux » qui nivelle et supprime le virtuose singulier.
On tempérera cette dernière remarque en soulignant que la
lutte de l’individu contre les masses est un thème cher à
la bannière étoilée.
Mais les (bonnes ?) surprises n’empêchent pas ce monstre
filmique (2h30 et je ne sais combien de millions de dollars)
de tomber dans nombre de travers du genre. Violons omniprésents,
musique tonitruante soutenant un souffle épique hors d’haleine,
happy end obtenu au forceps venant contredire l’esprit du
film. A ce propos, les auteurs, sans doute conscient de l’incohérence
que représente cette conclusion, refusent de choisir ;
et si les images penchent pour un sourire et des fleurs de
cerisier, la voix off du narrateur (anglais !) octroie
au spectateur la liberté d’en finir à sa guise.