C’était hier soir
sur l’avenue des Champs-Elysées où je commençai,
à peine en entrant dans la salle capitonnée
UGCétisée, propre et tout le dindon bientôt
cuit et la pause syndicale du projectionniste qui se termine
aussi, à hurler contre le nouveau voyeur de spectacles ;
voyeur de songes offerts dans une demi-obscurité, en
particulier… Voyez ! voyez-les ! Regardez-les, la
cravate nouée, comme des idoles qui veillent sur leur
peau leur peur du verbe et sur leur fric dans les poches
assez de fric pour s’acheter des bonbons et parler comme des
cochons " Eh ! t’as vu elle est bonne ! "
C’est mieux qu’au cirque ? Je ne crois pas non au cirque
tu ries puis tu pleures… ou l’inverse pour ceux qui te frôlent
sur le siège à côté de toi parce
que leur vie n’est pas semblable à la tienne ;
je sais ça, je m’y suis frotté, Porte de Pantin
et Annie Fratellini qui m’encourageait indéfiniment :
" plus volontaire ta grâce, bonhomme, et plus
souples tes balles…
Ici, que fais-tu ? tu suffoques tu blêmis à
présent oui à présent que…
Dans cette salle, j’avais
le précieux scénario où l’on dévoilait
tout, mes deux amis et moi, je vous le rappelle, mes deux
amis, et ils existent, un " film à faire "
absolument ; j’avais ce précieux scénario
dans la culotte et toute la cruauté qu’il crachait
et qui me chatouillait le bas du ventre ; un ventre un
peu rond depuis quelques temps me faisait-on remarquer, parce
qu’il n’évacue pas ; plus rien… De déception
en désespoir, de soupir en déchirure, emplie
de mal bouffe de bouffe mal culture osseuse et bientôt
morte, de plans qui ne perdent pas un gramme de sueur, et
de maladies du sang qui accélèrent ma décomposition
et sèchent mes hormones cinématographiques…
comme les défunts qu’on n’expose plus jamais à
la lumière, et qui se taisent alors, lâchement
abandonnés...
Que faire ?
Rester à la place
à laquelle j’ai involontairement offert mes fesses…
pour presque deux heures ?
…et subir les morts
qui vivent tout autour de moi dans ce cinéma, les
subir comme de longues plaies, atroces, servant d’excuses
aux loups retenues dans leurs cages, avant d’être dévoré ?
Oui ! tant pis !
c’est dur ! un grand malheur !
C’est comme ce type un
soir, après que Cassavetes m’ait démonté
le portrait rue Saint-André-des-Arts, qui m’a tout
raconté dans les détails, et m’a giclé
à la figure toute sa vie sous influence ;
sa vie le cinéma ce qu’il avait rêvé pour
les deux… Et moi qui lui présentai mon projet le " film
à trois ", que nous détenions la vérité
sur les " choses " horribles de l’Etat
et des autres… que la culture était en danger et Vichy
la rancœur sur le dos qui revenait sonner aux portes et insistait,
et que c’était pour bientôt !
Il en était sûr
et pourtant aussi :
- Le cinéma
m’a bien abîmé, petit… On croit même que
je suis mort ; alors que je erre dans les rues, sur les
berges, dans les bars, Albinoni dans les oreilles et ce procès
injuste au derche, ces flics qui me cherchent partout où
c’est sale et alors qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai voulu
faire des films justes et tout dire ne plus calculer être
libre et c’est pas ça c’est pas ça qui s’est
passé ! On m’a accusé de changer l’Homme
avec mes conneries et de lui faire du mal, de nuire à
son évolution et le cinéma, le cinéma,
c’est quoi ? Si papa m’emmenait chaque samedi soir c’était
bien pour que j’apprenne la vie et la déshabille le
jour venu passé l’adolescence… J’étais prêt ;
eux, non ! et papa qui n’a pas bronché et a préféré
mourir en m’oubliant… c’est drôlement moche dis...
- On va le faire, nous,
on va le faire… je reprends, en lui montrant mon poing rageur,
comme une forteresse solide et imprenable ; le prix de
la résistance ! Vous pouvez y compter ! C’est
certain !
- Bah ! ouais c’est
ça ouais ouais…
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