Et il s’en va, Albinoni
reprenant ses mesures à son arc, pour lui, et disparaît
avec les ombres que la lune forment sur le trottoir ;
allez bye bye K. bye bye… t’en fais plus...
C’était bien triste…
C’était ce soir-là… C’était ce qui fait
les films ; les fragiles les grands les incorrigibles
les révoltés les insoumis ; où sont-ils ?…
Hélas… en vain… j’avais envie…
Je n’irai pas me coucher
en terre avant d’avoir emmené le " film
à trois " dans une salle au Quartier Latin,
avant d’avoir pleuré des larmes par sacs entiers spécialité
postale aïe aïe des larmes qui me transperceront
les yeux au bout de quelques minutes, avant de voir cette
femme là au fond de la salle repenser à ses
premiers émois parce que ma scène d’amour oui
oui c’est comme sa vie ou presque ; en moins d’une seconde,
ça lui monte à la gorge et il faut qu’elle souffre
et ça finit très tard dans son lit, en tournant
le dos à cet imbécile de mari frappé
d’amnésie, sans passion, sans sourire, sans âme ;
elle ne va rien lui dire et tout garder et y retourner demain
au cinéma en prétextant un dîner avec
des copines bon marché ; voilà ! Et
la vie vaut la peine d’être vécue !
Je rentre chez moi et pose
sur la table devant l’entrée mon manuscrit ; et
je m’endors doucement, sûr de ne pas me tromper de sommeil,
de prendre la route du cinématographe ; seulement
la sienne… et l’aurore arrive vite et je me lève promptement ;
puis douche dents café et dehors, je guette le premier
des passants qui m’attire ; je veux parler à quelqu’un,
commencer à chercher le seul et l’unique personnage
du " film à trois "… Et comme la
vie dehors me fait mal ; ils sont tous aptes à
être cinématographiés et je reconnais
la blessante Romy S. qui prend le premier métro et
qui, de l’autre côté de la vitre, dans le wagon
me dit " je t’aime ", silencieusement,
au-dessus du bruit fascisant des rails frémissants
au départ ; parce que je n’entends pas ;
je respire ses paroles muettes qui fondent au fond de mes
entrailles ; oui l’important c’est d’aimer et
fin fin… Mais il n’y a pas qu’elle ; ils sont tous là,
semés dans des foules brumeuses, déréglés
comme des montres de Taiwan, s’arrêtant quelque fois
devant cet homme avec son accordéon et la suite
no6 de Bach qu’il ne peut interrompre… J’ai même
vu Lino me demander quelques pièces entre Pigalle et
Jules Joffrin. Suspicion, il n’en veut pas et regrette
que les vivants du " dehors " récupèrent
les vivants des " pellicules "…leur âme
leur soif leur appétit et bam bam ! fini les auteurs
sincères qui ne savent rien des chiffres et des statistiques !
Fini ! et bam bam ! nous résisterons, bon
an mal an encore cette année-là, dans
l’autre siècle, et ce sera à notre tour, et
tout sera beau, merveilleux, et nous serons tous béats
d’admiration et c’est vrai ce que je dis ; le cinéma
renaîtra seul avec l’aide de mains résistantes,
de corps émouvants, sans frontières sans interdit
sans hiérarchie sans loi ; voilà, pardi !
et où qu’on soit ! bam bam !
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