L'autre part de ce malaise déjà cité
est à déceler à la frontière d'une pensée cinématographique
consacrée à la forme et à la mise en scène, et une autre qui
considère le cinéma en tant que production culturelle, à commencer
par l'identité, la spécificité culturelle d'une industrie
cinématographique étrangère. En décembre dernier, l'Institut
Goethe de Tokyo organisait une série de débats entre spécialistes
étrangers et critiques Japonais sur l'état du cinéma Japonais
actuel. On y croisait des gens comme Tony Rayns, critique
pour Sight & Sound et Time Out, et programmateur
des sélections asiatiques pour le London Film Festival et
le Vancouver Festival, accessoirement lobbyiste pour Takeshi
Kitano et Wong Kar Wai (deux cinémas du pouvoir en Asie),
ainsi qu'Emmanuel Burdeau des Cahiers du Cinéma, à
Tokyo pour présenter certains films français dans le cadre
d'une semaine de projections organisée pour le cinquantenaire
des Cahiers. Rayns, l'Asie, Burdeau, un « projet »
de cinéma... Lors d'une rencontre avec Emmanuel Burdeau et
Nobohiro Suwa, réalisateur de H-Story, qui avouait
sa déception devant le box office français de son film, le
critique revenait sur les différences entre son approche formaliste,
et celle de Tony Rayns, et comment il arrive à parler du cinéma
japonais sans parler du Japon, par exemple sans connaître
les noms des comédiens japonais. Pourtant, la discussion se
tourna vers Hiroshima, et comment H-Story etait un
remake impossible d'un film sur la mémoire impossible d'un
tel traumatisme. Tout cela pour dire qu'en dépit des bonnes
intentions, la tentation de glisser une remarque, un avis
sur le Japon et sa culture, arrive à prendre le dessus. A
la fin, Suwa confiait qu'il souhaitait répéter l'expérience
de H-Story, à savoir une actrice française et un comédien
japonais; Burdeau vantait le talent de Sylvie Testud, moi
ceux de Jeanne Balibar... Pour la petite histoire, Eiji Okada
qui tenait le rôle principal dans le film de Resnais aux cotés
d'Emmanuelle Riva, ne parlait pas un mot de français; il apprit
son texte phonétiquement.
Il faut pourtant reconnaître qu'il
est pratiquement impossible d'éviter de parler du Japon lorsqu'on
parle de son cinéma. Notamment à la lumière de la production
2001, une année trouble pour son économie et sa culture. Presque
tous les grands cinéastes japonais réalisèrent des films cette
année, sortis au Japon, et à l'étranger: Masato Harada, Hidokazu
Koreeda, Shinji Aoyama, Nobohiro Suwa, Makoto Shinozaki, Kyoshi
Kurosawa, Takeshi Kitano, Sogo Ishii, Katsuhiro Ishii, Shunji
Iwai, Isao Yukisada,etc. De quel Japon parle-t-on? Dans l'ensemble,
à peine trois films, ceux de Iwai (Lily Chou-Chou),
Yukisada (Luxurious Bone) et Sogo Ishii (Electric
Dragon) etaient reussis, tandis que Party 7de Katsuhiro
Ishii fut un succès public au Japon, mais nettement inférieur
à son précédent Sharkskin Man & Peach Hip Girl,
qu'aucun distributeur francais n'eut le flair de sortir.
Malaise également au niveau de
la production, avec le départ de Takenori Sento de la société
de production Suncent, producteurs de Kurosawa, Suwa, Sogo
Ishii, Aoyama... Lors d'un entretien récent à la télé japonaise,
Sento annoncait que selon lui, le boom pour les films japonais
à l'étranger tirait à sa fin. De toute évidence, au cours
de ces dernières années, le Japon, et les distributeurs
étrangers, ne surent exploiter la diversité de genres de
son cinéma, s'entêtant à promouvoir un cinéma qui pouvait
correspondre à une image, à une attente publique et critique
qui fit ses preuves a Cannes, Berlin. Venise, etc.
Pendant ce temps, une toute nouvelle
génération se manifestait avec de petits films indépendents,
comme Love Juice, Platonic Sex, des courts-métrages
de la société Grasshoppa, qui nous montrent la génération
freeta' (free time), la génération des 18-25 ans qui refuse
d'entrer dans les entreprises et qui vit de petits boulots
à temps partiel, ou cdd. Si on veut dire quelque chose de
nouveau sur le Japon, c'est de ce côté qu'il faut regarder.
Enfin, pour les valeurs sûres, comme d'habitude, le plus
gros score au box office nippon va à Hayao Miyazaki et son
dernier film Spirited Away ; avec plus de dix-sept
millions d'entrées, Miyazaki dépassait son triomphe précédent,
Princesse Mononoke. Il fait figure de grand réconciliateur;
le Studio Ghibli a ouvert son propre Disneyworld version
réduite au printemps dernier. Autrement, une année sombre
pour l'anime. Miyazaki et Pokemon firent des entrées, mais
pour les autres... comme l'étonnant Metropolis, écrit
par Otomo et réalisé par Rin Taro, d'après des récits d'Osamu
Tezuka, peu de réjouissances. Les grandes fresques animées
dystopiques, apocalyptiques furent produites pendant les
années de bulle, alors que le Japon achetait tout sur son
passage. 2001 fut l'année d'une récession officiellement
déclarée, et le public boude ces récits qui avancent un
avenir trop sombre. Ainsi, nous sommes toujours dans l'attente
de Steamboy d'Otomo. Pour combler celle-ci, on se
contentera en cette fin d'année de la sublime édition dvd
d'Akira, complétée du livre storyboard. Et si ce
n'est pas suffisant, Metropolis vient à son tour
de sortir en dvd.