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Ainsi, il fallait même, moi aussi, que j’apprenne à dire " pourquoi ? ". Je décidais, au contraire, de me taire. Définitivement. Et c’est le cinématographe qui me sortit de mon silence accepté. Lui, il avait pu m’atteindre, et me soulager. Je remontais grâce à sa générosité du gouffre où l’on m’avait précipité sans égard ! Il me tendit une main fidèle : je pus communiquer ! Communiquer d’abord, et puis l’Emotion vint tout naturellement à moi, de lui à moi ! Puis des larmes par… par… milliers, oui… très franchement, il y eu beaucoup de larmes… beaucoup de larmes entre nous… et ça continue ! Enfin La Liberté dont je doutais qu’elle existe ! Dont je doutais qu’elle se manifeste !

Le cinématographe m’a arraché à mes souvenirs terrestres : aux coups de ceintures en cuir de mon père, dont la violence exécrable me terrifiait, aux morales guerrières du corps professoral, aux tragiques choix qu’il faut faire dans l’existence pour espérer vivre dans le confort, dans l’assurance !… Je ne m’en plaindrais jamais ! A jamais, loin du contact des fossoyeurs mondains, des beaux parleurs à l’éloge respectueux ! Des érudits respectueux, des " spécialistes " de la langue, barbants mais rassurants pour la foule, capables de l’hypocrisie la plus incisive ! Loin, si loin… si loin ! Oui, parce qu’on a voulu essayer de me libérer de mon mal. On a cherché à me rendre mon équilibre, un métier, une femme douce, une femme à l’ovule expert, spécialement conçue pour être enfermée dans une baraque spacieuse, prêtée sur gages par un banquier véreux ! Et dans cette baraque, cette " tuile " remarquablement bancale, conforme aux règles établies par une Troisième République salement amochée, dans la chambre, devant le lit conjugal, un miroir, un grand miroir, quatre mètres sur cinq ! Un miroir pour ne voir que la Forme de Sa Forme ! Mais c’est ce qu’on ne voit jamais au cinéma : la Forme de Sa Forme !… Puisqu’on n’y voit que la beauté de l’Informe : le drame antique disséquée par un Fou du " dedans ", la profonde humanité qu’on ne devine pas toujours dans le fond d’une toile peinte à l’huile, la photographie ambitieuse qui veut, pour aimer, le mouvement, une conversation improviste et sincère qui ne doit pas mourir… jamais plus… le cinématographe : un autre reflet que soi : la lumière intérieure, toute petite, tout au fond quelque part…

Comment ça vient au monde des images en mouvement ? Je débute aussi, et quelle grande découverte pour moi ! Je débute, je suis un enfant je crois, point encore fouillé, point encore exploré. Le cinématographe, c’est fait pour moi ! C’est ce nouveau-né au fond de ma gorge qui cherche son premier cri ! Sans épater la galerie ! Parce qu’il dit ce qu’il est ! Et que c’est trop ! Ce nouveau-né, cette nouvelle chair qu’on a arraché à sa mère !

C’est ce que j’attendais, le cinématographe ! L’évasion ! Je savais bien que la littérature, ça n’était pas pour moi : que celle-là elle n’était pas prête à m’ouvrir le cœur, et à nettoyer les impuretés que le réel avait déposé là, depuis ma venue au monde.

Il fallait autre chose pour me sortir du réel ! Pour débuter, pour étayer mon manuscrit, " CINEXTENCE " ! Un rêve qui m’avale ! Je viens de le dire ! Je viens tout juste de débarquer dans la vie ! Je viens de quitter la " récréation ", où je cherchais à me faire des compagnons. Je ne sais pas encore si je sais bien marcher, si je peux dire ce que je suis avec le cinématographe, faire de la " création ". Ce que je peux dire, en tous cas, à cet instant, c’est que je vais continuer de voir se consumer ma vie devant l’écran. D’accord, je débute dans la vie, mais bientôt, j’aurais tellement d’histoires à raconter ! Mes souvenirs terrestres sont partis en fumée ! Mes souvenirs ? Rien que de la Vérité ! La Vérité pour voir la Mort ! La vérité, qu’on tient en respect ! Sous perfusion ! Et l’infirmier de garde connaît son métier ! C’est un vicieux ! Il le voit souvent le réel !

De la Vérité ! Encore et toujours ! Même quand le silence pleure sur nos genoux ! Même quand nos rêves nous appellent !

(c) Jonathan Carriere

La Vérité, ça inspire à l’orgueil, ça donne une Idée infecte : se construire une " Identité " qu’il faut défendre, comme le chien affamé qui ne veut rien lâcher de son os, et qui sait que sa vie dépendra de la résistance qu’il manifestera face à cet os ! Une " Identité " qui se couchera au bout de l’effort dans une longue boîte d’un bois prêt à pourrir, à six pieds sous terre, bien crevée, bien dépecée l’ " Identité " ! Le cadavre vedette ! Depuis que j’ai mis mon âme au service du cinématographe, je suis interdit d’" Identité " !

J’explique… oui, l’explication avant la complication, ça vaut mieux ! Un matin, on tape à ma porte. Je dors encore. Enfin… depuis ce choc du 28 décembre, je ne dors plus vraiment ! Et je ne rêve plus ! J’ai les yeux fixés sur l’écran de mon quartier… ma tête ! C’est ma séance spéciale. Lorsque je rêve, qu’on croit que je rêve, alors que je regarde des " vues animées ", que j’enregistre dans le cœur tous les corps, les objets, les mouvements des êtres et des choses. Je suis atteint ! De haut en bas ! D’est en ouest ! En plein cœur ! Complètement atteint ! J’adore !