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Mais dans C’est
le bouquet !, Catherine n’est pas seule à
souffrir de cette tare langagière. Ses petits camarades
de fiction présentent les mêmes difficultés
à prononcer autre chose que des banalités. Alice,
qui habite en face de la fameuse Catherine, paranoïse
à fond sur la vie amoureuse de son amie de palier.
A partir d’un bouquet posé sur un paillasson, elle
élabore des théories fumeuses sur la situation
sentimentale de son couple de voisins. Stéphane, que
tout le monde appelle Stéph’ branchitude oblige, est
un PDG dynamique ne résonnant qu’en terme de flexibilité.
Il considère ses congénères comme des
potentiels de rentabilité et jauge ses relations humaines
comme des tests à caractère économique.
Travaillant pour le compte de ce Jean-Marie Messier en herbe,
Edith est moins dupe, plus consciente de la stérilité
de son discours. Issue, comme beaucoup de cadres, d’une école
de commerce, elle y a acquis le prêt à penser
élaboré pour meubler les silences gênés
des dîners d’affaires. Prémâchée
par d’autres esprits, aseptisée, rendu inodore, insipide,
pas dangereuse en somme, la culture générale
ne revient qu’à une bataille de dictionnaires. Comme
Edith l’explique en exemple, dans ce milieu économico-mondain,
parler de Kant n’a rien de philosophique. Il s’agit plutôt
d’une guerre de définition : celui qui a retenu les
dix lignes d’explication du Petit Larousse se trouvant en
mauvaise posture face à celui qui a potassé
les dix pages de l’encyclopédie Universalis consacrés
au philosophe allemand. Vue sous cet angle, la culture perd
tout intérêt, tout sens. Mais Edith et ses ami(e)s
n’en ont rien à faire. L’important pour eux c’est d’épater
la galerie…et d’essayer au passage de ridiculiser la concurrence.
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Non seulement Jeanne
Labrune met parfaitement en mots ce petit monde de la parole
en toc, mais elle le met aussi fort bien en images. En lieux
tout d'abord. Les locaux de la start-up sont esthétiquement
parlants. Les murs plus blancs que blancs, les couleurs aux
tons pastel et le mobilier aux formes ergonomiques sont plus
expressifs que n’importe quel dialogue, aussi bien écrit
soit-il. Autre espace signifiant : le bar à champagne
" Bubbles ". C’est dans ce débit
de boissons ultra-select qu’Edith (Dominique Blanc) et Raphaël
(Jean-Pierre Darroussin) se lancent dans leur drôlissime
débat sur Kant. " Bubbles " n’est
pas un endroit sorti tout droit de l’imagination pourtant
fertile de Jeanne Labrune, le bar existe réellement.
Il se trouve boulevard des Capucines à deux pas de
l’Olympia,. La réelle existence de ce lieu renforce
d’ailleurs le propos de la réalisatrice. Jeanne Labrune
dresse en effet le portrait d’une population qui existe vraiment,
d’un groupe d’individus au mode de vie bien précis,
avec des habitudes, des rites qui leur sont propres. Et l’un
des traits de caractère majeurs de cette bourgeoisie
qui se veut bohême se situe dans son habillement. Jeanne
Labrune l’a bien compris et n‘a pas seulement placé
ses personnages en situation, en des lieux qui participaient
à la construction de son édifice cinématographique,
elle les a aussi mis en costumes. Stéphane, le jeune
entrepreneur dynamique, ne porte que des polos lui donnant
cet air décontracté qu’il semble tant rechercher,
jusque dans une coupe de cheveux tout en volumes. La coiffure
d’Edith en apprend aussi beaucoup sur l’image qu’elle veut
donner d’elle-même. Elle arbore une perruque noire qui
correspond parfaitement à sa volonté de paraître
autoritaire. Impression qu’elle renforce en portant des tailleurs
on ne peut plus stricts. Jean-Claude Brialy, dans le rôle
d’un auteur de théâtre, adopte une tenue moins
rigide, mais tout aussi expressive. L’écharpe enroulée
négligemment autour du cou, un manteau bleu passe-partout
sur les épaules, le personnage a tout du mondain négligé,
celui qui refuse les signes extérieurs de richesse
(les remarques agressives qu’il multiplie sur les bourgeoises
du XVIe arrondissement), alors qu’il est peut-être le
plus snob de tous.
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