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Les deux familles ont donc un sérieux
contentieux avec leur histoire, qui résume presque en tout
point - comme c'est pratique pour nos deux cinéastes - celle
leur communauté. Il faut dire que, dans les deux cas, le
passé revêt des allures bien dramatiques. Les juifs allemands
ont testé les premiers la barbarie du régime nazi, avec
la mise en place des lois de Nuremberg. Les Arméniens ont
subi de plein fouet la fureur d'un empire ottoman en perte
de vitesse, assimilant très vite ce que signifie l'expression
nettoyage ethnique. Il y a donc largement de quoi bouleverser
les consciences et marquer des vies. C'est ce que montrent
ces deux films en jonglant entre séquences contemporaines
et retours dans le passé. Sur ce point, à noter une petite
originalité narrative pour Atom Egoyan qui filme le tournage
d'un long-métrage - reconstitution historique des massacres
perpétrés contre les Arméniens, avec Charles Aznavour dans
le rôle du réalisateur - pour remplacer les traditionnels
flash-backs et fondus-enchaînés, qu'utilise par contre Margarethe
von Trotta.
Pour rassembler les pièces du puzzle familial, la réalisatrice
de Rosa Luxembourg comme celui du Voyage de Felicia
prennent chacun un membre de la famille, dans la jeune génération,
et le transforment en une sorte de journaliste d'investigation.
Le petit ami de la fille du terroriste arménien se rend
à proximité du mont Ararat et s'y improvise documentariste
pour les besoins des repérages du film devant retracer les
massacres commis par l'armée turque contre les populations
arméniennes. La fille de la veuve juive se fait universitaire
pour interroger celle qui a permis à sa génitrice d'échapper
à la Gestapo. Poursuivant leur duo à distance assez troublant,
Margarethe von Trotta et Atom Egoyan se rejoignent également
dans une mise en forme quasi équivalente, et qu'on pourrait
qualifier d'ultra-classique.
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Qu'est-ce qu'une mise en scène ultra-classique
? Bonne question. En gros, c'est filmer le passé en privilégiant
les couleurs marron et bleu pluvieux. Un peu comme si, à
l'époque, les arbres n'étaient pas verts, mais kakis. Cette
définition du classicisme cinématographique est certes un
peu réductrice, mais par extension elle s'applique plutôt
bien à toute la construction de ces films qui préfèrent
- pas forcément à tort - l'habitude à l'expérimentation.
Le petit jeu des comparaisons pourrait se prolonger presque
indéfiniment, en signalant par exemple que les deux films
défendent avec plus ou moins d'ardeur l'idée que les femmes
sont les relais de la mémoire d'un peuple. Mais, continuer
le face-à-face finirait par noyer dans la masse d'informations
la raison pour laquelle ces deux films sont si similaires.
Bref, l'élément vraiment intéressant, et pas seulement d'un
point de vue cinématographique.
"Ararat" défend une thèse. Ce n'est pas
un film historique, mais un film politique. Atom Egoyan
ne donne jamais le point de vue turc. Le seul lien établi
avec la Turquie se résume à un unique personnage, celui
interprété par Elias Koetas. Turc, ce dernier se révelera
en fin de film profondément hostile aux Arméniens et réfutant
la théorie du génocide. "Rosenstrasse"
est aussi un film à thèse. À double thèse même. C'est d'abord
un film féministe, qui montre des femmes d'un courage et
d'une dignité infinie. C'est aussi un film politique qui
veut démontrer que pendant la Seconde guerre mondiale les
Allemands ont su parfois résister au régime hitlérien. Margarethe
von Trotta montre ainsi des femmes allemandes mariées à
des juifs tout aussi allemands manifestant leur colère devant
le comissariat où ils ont été emprisonnés. Elle insère même
un personnage de militaire sympathique qui aimerait aider
ces femmes, mais ne le peut pas hiérarchie oblige, ainsi
que chef d'entreprise compréhensif envers ses victimes collatérales.