Mais il n’y a pas que des significations
imagées et métaphoriques dans Au feu ! ;
d’une certaine manière, le sujet est lié à l’histoire contemporaine
récente, portant qui plus est sur la problématique des rapports
et conflits à teneur ethno-religieuse, transposée depuis septembre
2001 à l’échelle mondiale et en termes culturalistes – « Choc
des civilisations », opposition Occident/Islam, etc.
En fait, il semblerait qu’il s’agisse plus, dans le cas balkanique,
de tensions communautaires, « raciales », la confession
devenant un socle identitaire et non pas la simple manifestation
bigote de monothéismes à la fois proches – abrahamiques –
et concurrentiels.
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On peut alors, ce que fait le film, considérer
le problème bosniaque comme étant avant tout un problème
de racisme. Le collègue de Faruk, Hamdo (Admir Glamocak),
est méfiant à l’égard de ses homologues issus de Republika
Srpska (2) et Hitka (Jasna Zalica),
chanteuse serbe – ou considérée comme tel – de retour à
Tesanj, est traitée de « tchetnik » (3)
par ses anciennes connaissances. Les deux pompiers serbes
de Bosnie se sentent mal à l’aise à la fête de réconciliation,
qualifiant la musique de « bougnoule », sous-entendant
l’orientalisme de cette dernière, avant de regagner leur
territoire sous une bannière arborant un symbole nationaliste
tchetnik, une image du mal qui a ravagé le pays mais qui
fait perdre au film sa neutralité. On ne voit pourtant guère
de différences entre les personnages bosniaques et serbes,
si ce n’est des prénoms plus turquisés pour les premiers
et une référence à la foi présumée de la majorité des habitants
de Tesanj : le diplomate demande au maire si la municipalité
n’a pas laissé l’église se dégrader, ou être dégradée. Le
cinéaste a d’ailleurs choisi des acteurs d’origines diverses :
Jasna Zalica doit être parente avec le cinéaste, donc bosniaque,
mais incarne visiblement une non musulmane dans le film ;
Stanko, l’un des pompiers serbes, est incarné par un acteur
né en Bosnie, à Tuzla, Emir Hadzihafizbegovic. Izudin Bajrovic
est né au Monténégro. Enfin, Bogdan Diklic est un acteur
serbe né en Croatie… Pompiers serbes et bosniaques en viennent
à pacifier leurs relations sur une table, une bonne bouteille
d’alcool aidant. Après que chacun ait accusé l’autre communauté
d’avoir provoqué le conflit, Stanko en vient à désigner
les Américains et les Allemands comme responsables de tous
leurs malheurs. Tombant ainsi dans des considérations presque
conspirationnistes qui font un sort aux espoirs placés en
l’Union européenne, l’ONU, l’interventionnisme atlantiste
et la diplomatie. Les responsables sont les autres, les
étrangers. Scène comique parmi d’autres, un employé municipal
tisse un drapeau américain avec des étoiles rouges datant
de l’époque communiste. Un lapsus évocateur qui pourrait
d’une certaine manière renvoyer dos-à-dos l’hégémonie américaine
et le Bloc socialiste. Les observateurs sont plus ridiculisés
que les Casques bleus corrompus du film d’Emir Kusturica
Underground (Bila jednom jedna zemlja, 1995).
Autoritaires, condescendants, niais jusqu’à la caricature,
ils sont montrés sous un jour peu flatteur. Les rapports
entre eux et Husnija sont faux et stériles, laissant transparaître
l’attitude presque néo-colonialiste des premiers et l’obséquiosité
du second. Comme si la réconciliation partielle ne pouvait
se faire qu’avec l’aide internationale et non pas entre
ex-Yougoslaves, ces officiels deviennent indispensables
aux yeux d’un maire qui se révèlera plutôt arriviste…
On pourra trouver cette peinture des responsables internationaux,
aux allures de missionnaires moralisateurs de la démocratie,
un peu surfaite, trop démonstrative, s’attachant avant tout
à mettre en avant des symboles. Comme cette poignée de main
difficile entre Stanko le Serbe et Hamdo le Musulman, à
la frontière entre les deux territoires bosniaques, encouragée
par le diplomate qui n’hésite pas à évoquer les accords
d’Oslo de 1993, signés par le Palestinien Yasser Arafat
et l’Israélien Yitzhak Rabin.
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