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Streetfighter (c) D.R.

Mais pour en arriver à la star, il faudra pour l’acteur en passer par une construction méthodique, dont la programmation de l’Etrange Festival rendit visible les principales étapes.

Tout d’abord, pour son premier rôle-titre de karatéka, Chiba incarnera en 1973 un personnage issu d’une série de manga à succès, Bodyguard Kiba. D’emblée, ce corps encore maladroit de combattant de foire trouve une légitimité dans un antécédent graphique, dans une forme héroïque stéréotypée. Introduit dans l’univers cartoonesque et nationaliste, peuplé de monstres humains ricanants, du film d’exploitation le plus outré, c’est dans la grandiloquence que se définit d’emblée la carrière future de Chiba. Sa première apparition l’impose : lisant tranquillement son journal alors qu’une prise d’otages se déroule autour de lui, figure encore anonyme de cadre en costume trois pièce, c’est par la révélation de son visage léonin et déjà crispé par une colère sans objet que le cinéaste Tatsuichi Takamori identifie ce nouveau venu.

En effet, le visage grossier de Chiba, comme réfrénant constamment une colère sourde, devient, plus que son aptitude réelle de karateka, le motif clé de sa starification : les combats brutaux qui parsèment Bodyguard Kiba n’ont pas la précision chorégraphique des « kung fu » de Hong Kong, ni même la précision des assauts du Chambara finissant. L’arme à feu a autant, si ce n’est plus, sa place que les poings dans ce mélange de polar yakuza et de film d’espionnage.  La mise en forme des combats recourt sans compter à des procédés visant à asseoir son comédien aux yeux d’un spectateur pas trop regardant au rang de super héros : effets de montage et emphase emprunté au « kung-fu » (trampoline compris) y sont la norme. Dans une course à l’outrance sanglante déjà bien entamé par la série des Baby Cart (elle-même adapté d’un manga), Bodyguard Kiba fait au moins aussi saignant. A noter pour l’anecdote que Chiba inaugure ici une série de « casseur de membres » qui trouvera son glorieux représentant, quelques dizaines d’années plus tard, en la personne de Steven Seagal.

  Shaolin Karaté (c) D.R.

Un autre élément capital du personnage est son amoralité. Prenant place dans un Japon urbain montré comme gangréné par la corruption, la starification de Chiba lui offre le paradoxe d’incarner à la fois une tradition martiale centenaire, le karaté, et de revendiquer l’amoralité du bussinessman conquérant : il est un ronin (samurai sans maître) moderne, sans la mélancolie morbide qui fait le prix de cet archétype. Attaché à suivre son ambition (fonder un dojo) par tous les moyens, Chiba est un homme d’affaire aux méthodes violentes : cette volonté forcené de succès, peut-être l’aspect le plus déplaisant du mythe, s’inscrit cependant pleinement dans le Japon des années 70, ébranlé par la contestation et le terrorisme. En guise de clin d’œil, la première séquence voit ainsi Chiba régler à coup de poing un détournement d’avion, spécialité des terroristes japonais de l’époque.

On signalera que Chiba a débuté sa carrière sous les auspices de Kinjj Fukusaku : sans surestimer l’influence de ce cinéaste, son univers de marginaux condamnés à la violence sans recours par la pression d’un contexte social impitoyable n’est pas étranger au personnage Chiba, qui en constitue la version dépolitisée.