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Un travail de dentellière

  Nina Star (c) D.R.

Malgré sa célébrité en Russie, Staréwitch devait refaire ses classes comme opérateur en France avant de pouvoir repasser à la réalisation. Il a préféré revenir à ses premières amours : l’animation. “ Je crois que c’était une façon de garder son indépendance dans des conditions assez artisanales où il était le seul maître d’œuvre ”, explique Kawa-Topor. Enfin pas tout à fait seul : Anna, la femme de Ladislas, cousait les costumes, sa fille aînée Irène l’assistait dans les prises de vues et les négociations de contrats, et sa fille cadette Jeanne, dite Nina Star, jouait dans la plupart de ses films (avec les marionnettes bien sûr). Ladislas Staréwitch menait presque tout le reste : écriture des scénarii, fabrication et animation des marionnettes, réalisation et montage des films.

La maison de Staréwitch, vendue en 1993 par sa petite-fille, était le dernier studio de Fontenay. C’est là que le cinéaste, qui était aussi bien un artisan qu’un artiste, travaillait avec une minutie et un dévouement inimaginables aujourd’hui : quand on se souvient que Staréwitch devait modifier la position de ses marionnettes 24 fois pour obtenir une seconde de film, il y a de quoi rester pantois. Ce travail énorme faisait pourtant partie de la vie quotidienne du pionnier de l’animation. “ J’ai le souvenir d’un homme qui travaillait toujours, sauf les derniers mois de sa vie ”, confie sa petite-fille. “ Il avait des idées sans arrêt, et faisait des films pour se faire plaisir : la Petite chanteuse des rues, c’était le genre de films qu’il faisait pour Noël, pour projeter à la maison. ”

Les Contes de l'horloge magique (c) D.R.

La Petite chanteuse des rues, interprétée par Nina Star et un petit singe animé, a été choisie pour ouvrir la trilogie des Contes de l’Horloge grâce à ses qualités musicales. L’histoire est celle d’une petite fille qui chante avec son limonaire pour aider sa mère à racheter la maison familiale. Loin d’être misérabiliste à la Dickens, le film met en valeur la débrouillardise de la fillette et fait preuve d’une gaieté et d’une candeur rafraîchissantes.

Le thème du limonaire introduit dans ce film a inspiré la dramaturgie musicale, fournissant le rythme de valse qui lie les trois courts métrages. “ Ses films ont un rythme tel qu’il est évident que Staréwitch aimait la musique. Sans arrêt, il convoque la musique, sur les regards, les gestes, la danse ”, s’exclame Jean-Marie Sénia, compositeur de la musique originale et accompagnateur de films muets. “ Staréwitch vous oblige à effectuer un travail de dentellière, sinon on peut rater des détails. Il faut être aussi obsessionnel, aussi perfectionniste que lui. ”

Staréwitch appliquait la même discipline à ses marionnettes, qui se pliaient à son bon vouloir plus facilement que les actrices de l’époque.  “ Il disait : “ Les marionnettes arrivent à l’heure, elles ne font pas de caprices, on n’a pas à leur donner un cachet et elles font tout ce que je veux. ”, raconte Béatrice. “ Quoique des fois, les marionnettes lui ont joué des tours et il disait : “ Celle-là, elle nous a déçus. ” Ou alors : “ Celle-là, on ne s’attendait pas à ce qu’elle donne toute cette vie ”.

La transformation de marionnettes de bois en véritables personnages s’opère en effet comme par magie, grâce à la subtilité de l’animation et aux qualités de conteur de Staréwitch. La technique, si bien maîtrisée qu’elle passe inaperçue, ne perturbe pas l’attention du spectateur qui peut se plonger dans le monde de la fable et rire des travers des hommes transposés dans l’univers animal et végétal. “ Comme La Fontaine, il sait voir les travers des hommes, mais il nous les montre sans les juger ”, remarque Jean-Marie Sénia. “ Il ne condamne pas l’humain, il le regarde vivre. En bon entomologiste, il regarde les êtres humains comme des scarabées. ”