Le fantastique plane toujours sur le
cinéma français mais intéresse désormais des cinéastes plus
marginaux. On négocie un virage radical et l’on se retrouve
en 2001 avec les anthropophages de Claire Denis. Dans Trouble
Every Day, on suit l’histoire d’un couple en lune de miel
à Paris : le mari embarque sa femme à la recherche d’un docteur
dont il fut l’assistant. Ce dernier sait que ce médecin est
le seul à pouvoir le sauver d’une maladie qui l’étreint. Le
docteur en question, de son côté, retient sa propre femme
prisonnière, affectée du même mal que le gars : une fièvre
étrange qui mêle les pulsions amoureuses à des actes déments
d’anthropophagie... Dans le genre «Si je t’aime, prends garde
à toi», ce film, très controversé, peut indisposer par sa
puissance viscérale et ses scènes chocs qui prennent par surprise.
En revanche, on ne niera ni la qualité de la musique, ni une
mise en scène très esthétique («esthétisante» diront certains…),
ni le courage d’une interprétation qui a su se fondre dans
une histoire difficile. Vincent Gallo et Béatrice Dalle sont
impressionnants en démons fébriles qui mangent « sexuellement
» leur proie amoureuse.
Dans un registre voisin, Un jeu d’enfants de Laurent
Tuel montre une famille qui vit confortablement dans un vaste
appartement situé dans un quartier chic et qui, un jour, se
trouve bouleversée par l’arrivée d’un couple de vieux qui
prétendent avoir vécus ici plus jeunes. Ce sera le début des
ennuis. Injustement boudé à sa sortie et clairement sous-estimé,
ce terrifiant Jeu d’enfants aurait peut-être gagné
à sortir avant Promenons-nous dans les bois de Lionel
Delplanque. En comparaison, il est bien plus réussi et instille,
par ses personnages étranges et une mise en scène très stylisée,
une ambiance éprouvante. Le plaisir de voir Ludivine Sagnier(on
n’y résiste pas) et la remarquable composition de Karine Viard
sont des atouts conséquents. Le résultat est par ailleurs
ponctué de séquences marquantes : le suicide de la baby-sitter,
les enfants qui parlent à des présences invisibles et, surtout,
la dernière scène, à flanquer la chair de poule.
Entre déception (le genre ne rencontre pas le succès escompté) et
déconvenues (Bloody Mallory, Requiem…), le cinéma
fantastique français peine à s’installer réellement dans
le paysage. En 2003, arrive la surprise Maléfique
d'Eric Valette, une excellente série B honnête, astucieuse
et efficace, qui se fait remarquer au festival de Gérardmer,
suscite l’enthousiasme et laisse augurer beaucoup d’espoirs
aux amateurs du genre. N’oublions pas en guise de conclusion
de citer le très beau Dancing (de Patrick Mario Bernard,
Xavier Brillat, Pierre Trividic), un film fantastique différent
et intelligent qui, pour traduire le tohu-bohu intérieur
de René, un personnage en proie à des interrogations métaphysiques,
passe par trois étapes narratives successives : le double,
le jumeau et le miroir. Le double, qui possède une ressemble
physique avec le personnage, représente la part de lui-même
qu’il n’ose pas accepter. Quant au miroir, il a pour rôle
de révéler ce que nous sommes en apparence. Ici, il sert
de plan final, dont l’intensité est doublée d’une question
posée directement au spectateur : « Et vous, qui êtes-vous
vraiment ? ». Parfois malsain, mais attachant et atypique,
Dancing est un beau petit film qui fait danser les
monstres, les fantômes et les doubles avec un joli tempo
schizophrénique. Surtout, il annonce avec Maléfique
la coexistence de deux nouveaux genres fantastiques : le
divertissant et le cérébral. Dans les deux cas, l’avancée
est spectaculaire. Pourvu que cela dure…