Le séminaire très justement
appelé " Expérience des Limites "
introduisit pour la première fois sur les écrans
lussassois des formes dites " expérimentales ".
Cela provoqua d’ailleurs dans le public des réactions
parfois injustes, souvent teinté de mauvaise foi ;
mais en choisissant délibérément de porter
le regard sur un champ se caractérisant par un sens
quasi ontologique de la transgression, les Etats Généraux
firent acte de la nécessité contemporaine d’inventer
de nouvelles formulations esthétiques pour aborder
notre réalité spectaculaire. Dès lors,
la réalité des démarches étudiées
put se dire comme celles de " rendre l’ordinaire
inconnu, stupéfiant ou intolérable ",
et de " venger les images ", en particulier
celles qui sont produites au nom d’une idéologie (colonial,
politique). L’abord de ces formes extrêmes tant dans
leur processus de fabrication que dans leur posture artistique,
s’offrait comme un champ d’investigation particulièrement
judicieux à l’heure de la télé-réalité
et de l’inflation des images. Comme en réponse à
ce questionnement, le succès remporté au gré
de ces rediffusions par Disneyland Mon Vieux Pays Natal
d’Arnaud des Pallières prit acte de l'intérêt
marqué du public pour des dispositifs préoccupés
d’une exigence du support et d’un travail formel n’hésitant
pas à faire barrage au sens.
Outre les séminaires
regroupant projections et débats autour de questionnements
esthétiques, et les séances programmées
en marge de l’opération, sur lesquels nous reviendrons
plus avant dans la suite du compte-rendu, les Etats Généraux,
fidèle à leur volonté de créer
un réseau international de festival de documentaire,
mirent à l’honneur, dans leur section La Route du
Doc, le Festival de Yamagata (Japon). Au travers d’une
sélection de films de Ogawa Shinsuke, père fondateur
d’un cinéma documentaire d’après-guerre engagé
au côté des révoltes étudiantes
et paysannes (Sea Of Youth, 1966, Summer In Narita,
1968), et de travaux contemporains marqués par une
orientation intimiste et autobiographique (Danchizake,
de Satoshi Ono, 2001, Inside Mind de Oki Hiroyuki,
1999), le programme coordonné par Gaël Lepingle
visa à dégager dans la cinématographie
documentaire japonaise une démarche d’enquête
fondée sur le subjectif.
Pour autant que l’on put en juger dans
un programme très chargé où bien souvent
quatre projections se déroulaient simultanément,
la démarche autobiographique et l’évocation
du roman familial constitua la démarche d’enquête
de la majorité de la sélection des documentaires
de l’année (section Ces Films Qui nous Regardent) :
Exil à Sedan, Théorie du Fantôme et
Passeport Hongrois…Autant de films ou l’intime croise
gravement la grande Histoire. Mais c’est le photographe Boris
Lehman qui sut le mieux montrer le dérisoire et l’auto
ironie réclamée par le travail sur soi, et qu’on
peina à trouver dans les films sus-cités, dans
son Histoire de ma Vie Racontée par mes Photographies,
" saga à la première personne "
(Jean-Pierre Rehm) de 3h40 de 3h40. (Présenté
en séance spéciale).
La forte affluence, cette
année, causée par la présence plus massive
que de coutume du grand public à un événement
originellement dévolu aux professionnels se solda par
de longues, très longues files d’attente pour certaines
séances. Certaines séances seulement, puisque
sur les 4 salles mises en place pour l’occasion (dont une
splendide salle " gonflable ", le Bioscope)
d’autres étant au contraire quasi-désertées
par un public qui se distingua bien souvent par son inconstance
et sa facilité à céder à l’énervement
- le soleil éclatant n’étant pas une excuse.
Tout d’abord pris au dépourvu par cette affluence,
les organisateurs mirent en place dès le deuxième
jour des salles de rediffusion immédiatement improvisées
dans les locaux disponibles.
Lussas comme étape de vacance,
lot des festivals d’été ? Avec une pointe
de cynisme, on aurait presque pu s’amuser de l’atmosphère
de " villégiature ’ - comme dirait
Goldoni - qui imprégna le temps d’une semaine les trois
rues de Lussas. Mais c’est paradoxalement cette atmosphère
qui fit des Etats Généraux du Documentaire une
manifestation séduisante et attachante : un entrelacs
d’exigence intellectuelle et de pétillement mondain,
d’austérité studieuse et de sensualité.