" Le jour où je vis
le premier Trinita , se souvient Sergio Leone (Conversation
avec Sergio Leone par Noël Simsolo, Stock, 1987),
je me suis mis à douter de ma santé mentale.
Je pensais être devenu idiot. J'entendais le public
hurler de rire. Je ne comprenais pas pourquoi il rigolait.
Ce que je voyais me paraissait nul, mal foutu, vraiment mauvais.
Je ne saisissais pas pourquoi un adulte pouvait s'amuser devant
une telle connerie. ( ) Mais j'ai fini pas comprendre
ce qui s'était passé. Au départ, ils
avaient tourné un film sérieux. Quand ils ont
entendu que tout le monde rigolait, ils furent catastrophés.
Terence Hill pensait que sa carrière s'arrêterait
là. Mais devant le succès de farce, ils décidèrent
de rectifier le tir. Dans le premier Trinita, Terence
tuait des gens. Par la suite, il devait ne leur donner que
des gifles. Et cela plaisait au public parce qu'il attendait
quelque chose de nouveau. Pendant plusieurs années,
les spectateurs avaient subi des centaines de films stupides
où les six mêmes cascadeurs interprétaient
le rôle des méchants. Il régnait une saturation
et une certaine colère. ( ) Et voilà un
film où les duels au revolver sont remplacés
par des claques ! Les spectateurs se sentent libérés.
C'est une revanche. Ils sont ravis de voir les méchants
de tous ces films recevoir des baffes et se faire enfoncer
le chapeau jusqu'aux oreilles. "
La suite, On continue à l'appeler
Trinita (Continuavano a chiamarlo Trinità) en 1971,
est effectivement délibérément tournée
vers la farce. On y trouve la fameuse séquence où
Terence Hill dégaine tout en giflant son adversaire,
ou encore l'intrusion hilarante des deux frères dans
un restaurant chic de San Francisco. Les propos de Leone concernant
le comique involontaire du premier film sont cependant à
nuancer. A voir On l'appelle Trinita aujourd'hui, il
semble difficile de ne pas croire que l'intention des auteurs
était de faire rire.
L'humour n'était pas une nouveauté
dans le western " spaghetti ". Les films
de Leone étaient souvent très drôles,
notamment Le Bon, la Brute et le Truand (1966), ainsi
que certains de Sergio Corbucci comme Il Mercenario
(1969) et Companeros (1971). Mais ici, c'est l'univers
du western qui se greffe sur la comédie, et non le
contraire ; pour preuve, Terence Hill et Bud Spencer
ont continué à faire le même type de
films dans les années soixante-dix en utilisant des
trames contemporaines (Attention, on va s'fâcher,
Cul et Chemise, Deux Super Flics, etc.).
Très vite, des imitations envahissent
le marché (Deux Frères appelés Trinita
, Planque-toi, minable, Trinita arrive !, Trinita,
une cloche, une guitare, etc.) et la plupart des westerns
tournés par le duo sont retitrés (T'as
le bonjour de Trinita , Trinita voit rouge, etc.). Sergio
Leone, quant à lui, voit le moyen de tourner définitivement
une page du cinéma italien en produisant Mon nom
est Personne avec Terence Hill et Henry Fonda. " (Ce
film) est la grande rencontre de la vérité
et de l'idiotie, explique-t-il. L'idiotie était
prise en charge par Trinita et tous les personnages du genre.
Trinita rencontre alors un vrai personnage. Et en fin de
course, le vrai personnage lui donne une leçon d'humanité.
Il l'envoie paître, tout simplement, en lui faisant
comprendre que pour lui, l'Ouest, c'est fini. "
Eh oui, bien fini ! Hormis
un coup de maître d'Enzo Castellari (Keoma
en 1976), le western italien a définitivement tiré
sa révérence. Mais son influence s'en ressent
encore aujourd'hui (jusque dans Le Pacte des Loups)
et c'est bien là le principal.