Je ne l'ai pas suivi. Le
cinéma, ça ne s'exploite pas, messieurs les
vieilles croûtes viscérales, ça ne s'exploite
pas à l'extérieur de la salle ; on le garde
tout entier, au fond de soi, et l'on apprend avec, à
déformer les autres, nous, semblables, et notre peau
sur d'autres peaux, d'autres regards, d'autres gros plans
pour finir, avant de tirer les rideaux, se refermer complètement,
rabattre les sièges et voyager.
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Et c’est ainsi que ma
plume invertébrée s'est mise à courir
sur des feuilles vierges ; et c'est venu, je l'ai joué
la ballade pour un puceau plusieurs fois des accords qui m'ont
torturé les phalanges avec un vilain plaisir comme
la chair qu'on tripote pour cent p’tites balles sur les boulevards
après le dernier bus, vers La Chapelle ! J'ai écrit
un film et ouais ouais jeté plusieurs centaines de
milliers de mots comme on jette les idéaux au beau
milieu d'une révolution poussiéreuse avant qu'elles
ne se frottent au dur réalisme implacablement sévère
et vieillissent avec un peu trop de pépins et pas des
brefs ! - dans le pancréas, puis j’ai trié,
coupé, étendu, et deux amis de ma trempe sont
venus me rejoindre, né dans soixante-dix avant quatre-vingt,
et se sont baignés dans mon encre ; et nous fûmes
trois, planqués dans un appartement rustique où
il y faisait un peu froid, en attendant de se lancer dans
la bataille, texte en main, cœur à labri dans notre
cheval de Troie et qui est donc Ulysse ? et après tout
on s'en fout en fait car ce que nous venons d'écrire,
c'est une véritable découverte, un chien enragé
et tout va péter ! Chut chut gardons notre secret travaillons,
et croyons-y ! Il s'agit de respirer convenablement sans s'agiter
ni se perdre.
- On nous laissera pas
faire, se dit-on à voix basse
- Mais on n'en veut du
cinéma, reprend-on parfaitement, c'est pas pour rien
d’avoir gardé les yeux ouverts quand nous étions
des bouts de rien, la main dans la main de papa maman ; quand
nous étions des riens du tout !
Tu imagines que tu es là,
debout, serrant dans tes bras l'équipe qui t'accompagne
à bord et le cinématographe que tu lances dans
ce foutu réel, afin de le traquer rageusement, comme
il faut traquer nos misères décharnées
et considérables, notre faim de chaque minute, afin
de faire échouer toutes les tentatives de corrections
cancéreuses des " prod " absolument hypocrites,
qui, quoi qu'ils osent prétendre sont contre Camus
contre l'absurde Char et son usine à Cavaillon avec
ses mains pour la poésie et le bois et Perros et sa
Bretagne et tout le reste ; contre la VIE en chair, en os
et en esprit ! oui ! oui ! encore oui ! oui !
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